Gilles siffle son café-calva d'une traite, car le serveur a déjà quitté son bar en direction de la remise. Il plisse les yeux et fait une petite grimace pour tenter d'adoucir les brûlures conjuguées des températures du café et de l'alcool. La gorge en feu, il veut demander au patron s'il doit le suivre ou l'attendre là, mais aucun son ne sort de sa bouche. Gilles se poste sur l'avenue et déjà le cafetier apparaît, poussant fièrement une antiquité dont les couinements sont en parfaite harmonie avec la rouille qui a gagné l'intégralité du guidon et du cadre.
Vous verrez que lorsqu'on approche de l'heure fatidique, la foi devient une évidence. Petite, je croyais beaucoup, parce qu'on me l'avait enseigné, plus tard je faisais mine de ne pas m'intéresser, parce que j'étais en plein dans la vie que Dieu, là-haut, vous rappelle trop que ça se termine un jour. Quand on est en pleine santé, penser à Dieu, c'est vraiment du masochisme, et la spiritualité n'est plus alors qu'une question de morale. Et puis vient le jour où l'on sent le vent du boulet. On a beau glisser la poussière sous le tapis, le jour où on déménage, il faut bien s'en acquitter. Dieu nous attend sous le tapis et nous laisse choisir le moment où on va lui faire face.
Le rédacteur en chef de L'Eveil est un vrai Normand, jovial et bon vivant. Ses grosses moustaches en bataille peinent à masquer de bonnes joues rougeaudes, gonflées aux escalopes à la crème, au cidre et au camenbert au lait cru. Il promène sur sa silhouette épaisse toute la définition du mot "bonhomie". (p.211)
- Vous allez me goûter çô, il faut goûter, c'est moi qui l'ai fait et ce pommeau il est impeccab'. Un an de fût de chêne, c'est pô pour de rien, c'est sûr çô y fait au goût. Allez, à la bonne vot' et bienvenue dans not' campagne. Elle est-y pas belle not' verdure . Gadez-moi çô ! Jolie, hein ? (p.145)