SEXTE
Pas besoin de voir ce que fait quelqu’un
pour savoir si telle est sa vocation.
il suffit de regarder ses yeux :
un cuisinier tournant sa sauce, un chirurgien
pratiquant une incision primaire,
un commis complétant un connaissement,
ont la même expression béate.
Ils s’oublient dans une fonction.
Combien il est magnifique,
cet air de l’œil-sur-l’objet.
Pour oublier les déesses apéritives,
déserter les autels terribles
de Rhéa, Aphrodite, Deméter, Diane,
pour prier à leur place Saint Phocas,
Sainte Barbara, San Saturnino,
ou quelque patron que ce soit,
qu’on soit digne de leur mystère,
quel pas prodigieux il a fallu franchir.
Il devrait y avoir des monuments, des odes
aux héros anonymes qui l’ont fait les premiers,
au premier tailleur de silex
qui oublia son dîner,
au premier collectionneur de coquillages
à demeurer célibataire.
Sans eux, où serions-nous ?
Encore sauvages, pas dressés, encore
errant à travers les forêts, sans avoir
une consonne à notre nom,
esclaves de Dame Espèce, dépourvus
de toute idée d’une cité,
et, ce midi, pour cette mort,
il n’y aurait pas d’exécutants.
Horae canonicae, 3, Sexte, I, pp. 150-151