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Citation de enzo92320


[sur la musique]

La racialisation de l’habitus repose ainsi en partie sur cette logique sociale qui associe les habitudes objectivement variées des groupes sociaux, leur hiérarchisation du fait de la domination symbolique et matérielle réalisée par les groupes sociaux majoritaires, et finalement l’inégalité des expériences quotidiennes, sociogénétiquement décisives, qui en découle pour les membres de chacun de ces groupes. Cette logique sociale se perpétue aux âges plus avancés.

On peut prendre l’exemple des pratiques musicales, dans l’adolescence et la jeunesse – ce qui est, du reste, une occasion de saisir la racialisation dans son versant plus immédiatement symbolique. À partir du début du XXe siècle, la musique s’est historiquement organisée suivant une opposition majeure entre musiques noires (plutôt dansantes, rythmées, authentiques, « actuelles ») et musiques blanches (plutôt introspectives, mélodiques, sophistiquées, « classiques »). Aujourd’hui, dans nombre de sociétés, le lien entre appartenance ethnoraciale et tendances musicales est puissant, à tel point qu’il s’avère possible, d’après certaines études expérimentales, de deviner la couleur de peau (autodéclarée) d’un auditeur anonyme à partir des seules informations sur les morceaux qu’il écoute. La musique est donc racialement structurée ; et c’est pour cette raison qu’elle s’avère racialement structurante. Il ne suffit pas de dire, par exemple, que « Radiohead est un truc de Blancs » (ou Pink Floyd, ou Orelsan). Il faudrait plus justement dire que c’est en écoutant à longueur de journée ce genre racialement distinctif de musique (ou son équivalent structural, dans une autre société, à une autre époque) que des adolescents et des jeunes deviennent blancs, ou du moins contribuent pratiquement à se générer comme tels. Cela est vrai non seulement parce que, comme on le sait, les goûts, les choix esthétiques sont au fondement de la distinction des groupes entre eux, ici ethnoraciaux, mais aussi parce que les pratiques culturelles exprimées dans l’interaction contribuent au renforcement des liens internes, au sein de chaque groupe distingué (ici, entre Blancs). Concrètement, connaître Radiohead, avoir envie d’en discuter, d’en écouter avec d’autres, oriente tendanciellement vers des sociabilités blanches (et sans doute aussi vers les adolescents et les jeunes des classes moyennes). Mais il y a plus : ce genre de musique contribue à entretenir ou à engendrer, comme c’est toujours le cas, des dispositions plus générales, non strictement musicales. La blanchité que Pink Floyd, Radiohead, Orelsan soutiennent en nous, c’est aussi possiblement une façon de s’habiller et de se coiffer (comme les membres – blancs – du groupe, pourquoi pas ?), une façon d’aimer (avec une tendance au romantisme), ou encore de se positionner politiquement (un engagement minimal faisant partie des propriétés de base de ces styles musicaux, comme il a pu l’être du free jazz à une époque antérieure). Là encore, ce n’est pas qu’une différence de style – musical, esthétique, moral, politique – qui s’élabore, mais une hiérarchie. Que les uns aient le sentiment de toucher au subtil et au sublime en écoutant telle musique implique structuralement qu’ils renvoient les autres au simplisme, à la vulgarité.
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