William Boyd

Henderson loua son automobile. Il avait demandé un modèle de taille moyenne mais ce qu'on lui donna était plus grand que tout ce qui circulait sur les routes anglaises. La fille de l'agence lui assura que c'était là la dimension standard.
Vu de l'intérieur, le capot s'allongeait telle la piste d'envol d'un porte-avion. Henderson passa le levier des vitesses en "drive", frôla l'accélérateur et la voiture fit un puissant bond en avant. L'idée de bomber sur les autoroutes dans ce monstre suscita en lui une excitation d'adolescent qui eut raison de son humeur morose. Dieu que c'est amusant, pensa-t-il, en surgissant de la rampe au sortir du parking, on dirait un énorme jouet.
Le temps qu'il passe chez lui ramasser sa valise puis arrive jusqu'à l'appartement de Mélissa, dans le quartier chic, la voiture bleu acier avait perdu un feu arrière, acquis une éraflure sur tout un côté et reçu un gnon dans l'aile avant gauche. De surcroit, au cours de son périple, Henderson avait été traité successivement de "conhon", de tête d'enflé, d'enfoiré de blanc, de casse-couilles et d' "empaffeu' de sa mè'e", par les autres conducteurs hargneux qu'il avait emboutis ou gênés, d'une façon ou d'une autre. Quant aux piétons, humbles et timides créatures en Angleterre, ils avaient flanqué des coups de pied dans ses pneus et des coups de poing dans la carrosserie. Un passant particulièrement courroucé qui traversait en dehors des clous, avait été jusqu'à cracher - de manière étonnamment volumineuse et verdâtre - sur son pare-brise. Il réussit à se garer pas trop loin de chez Mélissa (essuie-glaces en marche) pour essayer de reprendre contenance.