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Citation de Satine


Satine
24 décembre 2010
Sonnet I
Regarde ton miroir, et dis à ce visage
Que les temps sont venus d’en former un nouveau ;
Car si tu refusais d’en faire un aussi beau,
Tu décevrais le monde et quelque vierge sage :

Quelle belle, en effet, pour un moins doux fardeau,
Dédaignerait ici ton marital usage,
Et, de son propre bien préférant le tombeau,
Quel sot consentirait à briser son lignage ?

Tu sembles le miroir de ta mère ; elle, en toi,
Rappelle la fraîcheur de l’avril de sa vie :
Par la vitre de l’âge, en un pareil émoi,

Vieillard, tu reverras ta jeunesse fleurie.
Mais qui veut vivre seul, pour que chacun l’oublie,
Mourra seul, emportant son image avec soi.

Sonnet III
Ces heures dont le clair travail accomplissait
La charmante merveille où tout regard s’arrête
Blesseront quelque jour cette chose bien faite,
Ravissant la beauté de qui nous ravissait ;

Car le temps, sans répit, mènera le succès
De l’été triomphant à l’hiver, sa défaite ;
Le froid surprend la fleur ; la feuille, de son faîte,
S’abat ; la neige enfin recouvre un noir décès.

Mais l’esprit, mais l’essence adorable demeure,
Le parfum de l’été dans sa prison de gel,
Afin qu’à tout jamais toute gloire ne meure :

Ce n’est donc qu’un aspect fugitif que l’on pleure,
Et la fleur, distillée en délice immortel,
Au mépris de l’hiver nous ravit tout à l’heure.

Sonnet IV
Ni marbre blanc, ni monument doré
Ne survivront à ces rimes princières ;
Tu brilleras chez moi plus honoré
Qu’un temple impur de temps et de poussières,

Et quand l’excès des armes et des guerres
Aura le temple et le socle rasé,
Ni fer, ni feu n’atteindra sur mes terres
Ton souvenir en ces lieux déposé.

Malgré la mort et l’ennemi farouche,
Tu poursuivras ton destin ; par ma bouche,
Et jusqu’au jour du dernier jugement,

Le monde encore entendra ta louange ;
Oui, tu vivras jusqu’à l’appel de l’ange,
Dans ce poème et les yeux d’un amant.

Sonnet VII
Le péché d’amour-propre à tel point me possède
Que mes yeux, que ma chair, que mon cœur en est plein ;
Contre un péché semblable il n’est point de remède,
Tant sa marque est profonde et gravée en mon sein.

Nul visage, à mon gré, n’est plus beau que le mien ;
Nul charme n’est plus vrai que celui qui m’obsède :
Devant ma vérité, toute vérité cède ;
Auprès de ma valeur, toute valeur n’est rien.

Mais lorsque en un miroir je connais mon visage,
Tout flétri, tout mordu des morsures de l’âge,
J’entends mieux le secret de pareilles amours :

S’aimer, s’aimer ainsi, ce serait une injure ;
Mais moi-même, c’est Toi, ma beauté, ma parure,
Et mon âge s’est peint des fraîcheurs de tes jours !

Sonnet IX
Quand, mal vu par le sort et les yeux des humains,
Déplorant mon état de réprouvé sur terre,
Je maudis mon malheur, de moi-même me plains,
Et fatigue le Ciel de mon cri solitaire ;

Envieux de celui dont les vœux sont moins vains,
De son cercle d’amis, de son talent pour plaire,
De la beauté d’un tel et de l’art de certains,
Et jamais satisfait de ce que je sais faire ;

Quand, parmi ces pensers, dans le mépris de moi,
Je songe à Vous, - soudain, dans la naissante aurore
Ma fortune, pareille à l’alouette, monte,

Et chante au ciel, bien loin d’une terre de honte,
Et votre amour très douce et brillante me dore,
Et me fait riche au point que j’en dédaigne un roi.

Sonnet XIII
L’amour est mon péché ; votre vertu, la haine,
La haine du péché que je porte en mon sein :
Comparez votre état, je vous en prie, au mien,
Et ma faute à vos yeux paraîtra moins certaine.

Ou, venant de ta bouche, un tel reproche est vain
Quand elle a profané sa pourpre et son haleine,
Scellé des faux serments comme j’ai fait, sereine,
Et volé de l’amour au lit de ton prochain.

Qu’il me soit donc permis de t’aimer comme, certe,
A d’autres tu portas tes importunités :
Qu’à la compassion votre âme soit ouverte

Afin que nous sachions si vous la méritez !
Si là-bas tu requiers ce qu’ici tu refuses,
Ton exemple est mauvais, bonnes sont mes excuses.

Sonnet XVII
J’aime mieux être vil que d’être estimé tel
Quand de ne l’être pas fait que l’on m’en accuse,
Quand j’y perds des plaisirs qu’un homme se refuse,
Jugeant par d’autres yeux de son bien personnel :

Et pourquoi le douteux regard d’un autre (et quel ?)
Devrait-il approuver ce beau sang qui s’amuse,
Si d’un moindre pécheur un pécheur plus réel
Espionne et reprend ce que j’aime sans ruse ?

Non ! véritablement ; je suis ce que je suis.
Qu’on se juge soi-même alors qu’on me poursuit :
Je puis bien marcher droit si leur marche est oblique ;

Ce n’est pas à leur vice à tracer mon portrait,
A moins que de prétendre, injurieux excès,
Que tout homme est pourri dans notre république.

Sonnet XVIII
Quand tu voudras me prendre à la légère
Et me railler sur un air de chanson,
Contre moi-même avec toi, pour te plaire,
Je nommerai vertu la trahison.

Bien mieux que toi, je sais une raison,
Un secret pour me perdre, et je vais faire
A ton usage un récit de l’affaire :
Il te vaudra de l’honneur ! – De façon

Que par ceci, j’y gagnerai moi-même,
Car ne pensant qu’à toi, puisque je t’aime,
Ton avantage est doublement le mien,

Serait-ce au prix d’un tort que je m’inflige. –
Je suis à toi, je t’aime assez, te dis-je,
J’accepterai tout le mal pour ton bien.

Sonnet XIX
Ce n’est point tout mon mal, qu’elle soit ton amie,
Et tu sauras pourtant que je l’aimais beaucoup ;
Que tu sois son ami, ma peine est infinie,
La perte d’un tel bien m’accable plus que tout.

Amants injurieux ! Mon excuse pour vous,
C’est qu’Il t’aime sachant combien je t’apprécie,
Et qu’Elle te permet cet amour des plus doux
Parce que l’amitié l’un et l’autre nous lie…

Lui perdu, c’est un gain pour mon amour, tant mieux !
Elle perdue, eh ! bien, mon ami l’a trouvée ;
Ils se trouvent l’un l’autre et je les perds tous deux ;

Mais c’est en mon honneur, la chose m’est prouvée,
Qu’ils m’ont mis cette croix sur le dos. Et, ma foi,
Deux amis ne font qu’un : elle n’aime que moi.

Sonnet XXII
Quel élixir de larmes de Sirène
Né dans l’enfer d’un alambic malsain
Ai-je donc bu, changeant mon plaisir en peine,
Espoir en crainte, en perte tout mon gain ?

De quelle erreur mon cœur était-il plein
Qui savourait sa chance plus qu’humaine !
Et dans la fièvre alors de la géhenne
Combien mes yeux s’égarèrent soudain,

Maos, ô bienfait du mal ! si l’on ignore
Que le meilleur par le mal s’améliore
Et que l’amour – à présent je le sais –

Renaît plus fort, plus beau de sa ruine :
J’y fus déçu, mais sans qu’il m’en chagrine,
Riche trois fois de mécomptes passés.

Sonnet XXIII
Je n’admettrai jamais de divorce valable
Au mariage des esprits ; l’amour n’est pas
L’amour, s’il doit changer quand on change ici-bas,
Quitter quand on le quitte et par un mal semblable,

Oh ! non. Voici l’amour : un phare inébranlable
Qui regarde les flots tumultueux ; l’éclat
D’une étoile guidant la nef qui se débat,
Sans prix, dans sa hauteur vainement calculable.

Il n’est pas le jouet du Temps, bien que la rose
Du visage demeure à l’ombre de la faux :
Il ne s’altère point comme le temps dispose ;

Et si ce que j’affirme en ce langage est faux,
Avant le dernier Jour s’il connaît sa défaite,
Nul n’a jamais aimé, je ne suis pas poète.
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