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Citation de Cannetille


« Dès ma naissance, j’ai été une mauvaise nouvelle, lança la vieille Keltoum à Tassahdith. Le pire, c’est que c’est nous les femmes, nous les premières à déplorer la naissance des filles. On se met à pleurer, on se lamente de la mauvaise récolte. Alors j’espère que tu accueilleras ton enfant avec le même bonheur, qu’il soit un garçon ou une fille.
— Mais tu sais bien ! C’est plus utile d’avoir un garçon pour les champs…
— Tu vas accoucher d’un enfant ou d’une bête de trait ?
— Tu vois bien de quoi je veux parler. Pas une fille que je connais qui aurait la force d’un homme.
— Et qui va chercher de l’eau alors ? Qui porte les lourdes amphores qui briseraient le dos d’un soldat ? Qui porte les montagnes de bois ? Nous avons autant de force qu’eux, encore plus de mérite. Et pourtant, on apprend à nos fils à marcher sur leurs sœurs. Et en grandissant, certaines refusent de se marier, comme moi. Quel choix j’avais, moi ? J’avais quinze ans. Je ne voulais pas être mariée. Peut-être un jour, mais pas maintenant, je me disais. Pas avec ce grabataire que je ne connais même pas. Mes parents voulaient me forcer.
— Ils voulaient probablement ton bien, tu sais…
— Ils veulent toujours notre bien ! Jusqu’à ce qu’ils veuillent notre mort ! Et puis il y a celles qui sont nées difformes, tellement laides qu’on dirait l’enfant d’un homme et d’une mule. Tu te souviens de la pauvre Khadija. La petite qui avait la tête déformée. Qu’est-ce qu’elle avait fait au bon Dieu pour mériter ça ? Moi je la trouvais belle. Elle avait un sourire tellement sincère. Elle que tout le monde regardait de haut, avec méfiance, avant de passer son chemin. Comme si scruter sa laideur trop longtemps, la dévisager, risquait de les déformer eux aussi !
— Je me souviens d’elle, la pauvre. Toujours souriante même quand on la repoussait. Aucun enfant ne voulait jouer avec elle. Elle avait la santé fragile, la pauvre. Qu’Allah la bénisse.
— Mais il y a aussi les autres femmes, celles qui sont jugées trop belles, trop bavardes, trop curieuses, trop mutiques. Celles qui désobéissent comme moi, qui répondent aux coups, qui veulent sortir sans raison, qui veulent apprendre à écrire…
— Avant de te rencontrer, je ne pensais pas qu’une femme puisse lire et écrire, à part chez les Français.
— Bien sûr que nous pouvons tout autant que les hommes. Tu vois, nous les femmes en trop, nous les laides, nous les sorcières comme ils disent. On nous jette l’opprobre. Pas un mollard au visage, non. Un crachat, ça s’essuie facilement. Non, leur mépris nous marque au fer rouge. Tu ne la sens pas cette odeur ? L’odeur de roussi du rejet ? Tu ne la reconnais pas l’odeur du crâne de mouton grillé ? Une puanteur si forte qu’elle en corrompt les sens et l’amour-propre ! C’est pour ça qu’on en arrive à pleurer la naissance des filles, à regretter notre propre existence. »
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