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Citation de Livretoi


* p389 – En l’espace quelques instants, Novak se retrouva entre les mains du gabbai*, qui lui passait une redingote. D’autres l’avaient coiffé d’un galurin fait avec on ne sait quel animal, tandis que des tsitsit pendaient maintenant aux coins de sa chemise. Ils se mirent ensuite à danser en cercle autour de lui, comme des déments. Vint l’heure de la prière au shtibl * - une pièce délabrée, misérable et pleine à craquer ; une foule d’hommes entassés qui, pour tout dire, lui rappelait la place du marché. Tous se balançaient en prière, d’avant en arrière et de droite à gauche, enveloppés dans leur drap sacré qui sentait la purée de chou. Plutôt que de rendre leur louange agréable aux cieux, en 1’accompagnant d’un orgue et d’harmonies, en diffusant de l’encens et des senteurs, eux s’égosillaient dans un état d’extase évoquant volontiers des moutons bêlants. Ils lui collèrent ensuite leur étrange livre dans les mains. Près de lui, l’un des laquais du Rabbin lui fit suivre le fil de cette écriture carrée, mot après mot. Après la prière, tous vinrent lui serrer la main, et convièrent naturellement Pinhaslé et Abramlé à la tish*. Novak n’en pouvait déjà plus d’attendre que la soirée s’achevât, il ne rêvait que de s’enfiler un verre de slivovitz pour se débarrasser de ces mauvais goûts, et finit par saisir Akaki Akakiévitch par le col et lui demander comptes pour ce désastre. Avant le début du repas, le rabbin prononça un discours, verre de vin à la main. Novak imita ceux qui l’entouraient, cria lekhaïm après eux, but lorsqu’ils burent, psalmodia quand ils psalmodiaient, s’assit lorsqu’ils s’assirent, chanta lorsqu’ils chantèrent, manifesta de l’allégresse lorsqu’ils en manifestèrent, et dansa lorsqu’ils dansèrent Les plats étaient cette fois différents, mais le goût identique – et surtout, toujours ce maudit yash. Sauf qu’à cet instant, Novak sentait que son ventre, jusque-là récalcitrant, était sur le point de céder. Dès lors, il se mit à tout engloutir, qu’importe le goût, et abandonna ses sens à l’alcool et à danse.
A la tombée de la nuit, au lieu de gratifier Akaki Akakiévitch d’un coup de poing au visage pour l’avoir fourré jusqu’au cou dans cette mascarade, Novak s’effondra sur un lit branlant garni d’un matelas de paille dans un cabanon que les résidents avaient préparé pour eux. Il n’aurait pu demander mieux. À cet instant, il se contrefichait de Fanny Schechter, il en avait même oublié cet horrible voyage jusqu’à Grodno. Enfonçant sa tête dans l’oreiller, il s’endormit instantanément, tout habillé, alors que dans son cœur résonnaient encore les mots du rabbin, auxquels il n’avait bien entendu rien compris.

Le clairon du coq était parfois susceptible d’éveiller une soif de vengeance. Avant le lever du soleil, un duo de gallinacés avait choisi de se tailler une bavette au détriment des rêves de Novak. Genre de moments où il regrettait de ne pas avoir son revolver à portée de main. À ses collègues, il expliquait à longueur de journée que le Département de maintien de la sécurité et de l’ordre publics menait une guerre du silence, que l’utilisation d’une arme était synonyme d’échec. « Une ouïe fine et une mémoire d’almanach, voilà noire artillerie. » Mais à cet instant, la tête comme une citrouille et les tripes jouxtant ses dents du fond, ni ses oreilles ni sa mémoire ne lui étaient d’aucun secours. Un coup d’œil lancé à celui qui ronflait à côté vint rafraîchir ses souvenirs de la veille.
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