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Citation de loup0


Mais avant toute chose, monsieur Roland voulut me réapprendre à parler français. C’était bien sûr le plus urgent, comme je ne tardai pas à m’en apercevoir sitôt que j’eus d’authentiques Français à portée de mon vocabulaire. Monsieur Roland avait bien tenté de me prévenir des déconvenues auxquelles je m’exposais, mais il parlait lui-même une langue si châtiée que je ne compris pas bien ce qu’il voulait dire. J’en eus cependant un aperçu la première fois où, dans le train de Nice à Paris, je tendis mon billet au contrôleur :
— Tenez, monsieur, nos sauf-conduits. Je puis toutefois vous assurer qu’ils sont en règle : nous avons acquitté le prix de notre voyage il n’y a pas même une heure sur la foi de beaux écus trébuchants…
Le brave homme me lança un regard si stupéfait que je crus avoir commis une faute de grammaire. Monsieur Roland intervint alors, précisant que je venais d’un pays où l’on parlait un français un peu… différent.
— Ah ? Vous venez du Canada, peut-être ? Parce que j’ai moi-même un cousin qui…
— Oui, du Canada, précisément, le coupa monsieur Roland qui peinait à dissimuler un sourire.
Je n’osai le contredire.
— Mon enfant, reprit-il lorsque l’homme fut sorti du compartiment, je crois que vous ne mesurez pas bien que le français que vous parlez avec une aussi déconcertante facilité a plus de deux siècles et qu’il est passé depuis pas mal d’eau sous le pont Henri IV et quelques révolutions par-dessus… Comprenez-vous ?
— Point tout à fait…
— Ana, on ne parle plus ainsi depuis longtemps. Tu vas devoir simplifier. Ainsi, que dirais-tu si tu as soif ?
— Si je suis assoiffée ? Eh bien, je dirais par exemple : « Holà, l’hôtesse ! Verse-nous de ton meilleur vin ! » Non ? Vous riez !
— Non, non, je ne ris pas ! Je ne ris pas ! s’étrangla-t-il. Eh bien, Ana, outre que tu es sans doute un peu jeune pour demander du vin, à ta place je dirais plutôt : « Pourrais-je avoir un verre d’eau, s’il vous plaît ? »
— Ce n’est pas très différent…
— Pas tellement, au fond, mais, vois-tu, ton français est celui de l’aristocratie du XVIIe siècle. Or nous sommes presque au XXe. Beaucoup de choses ont changé. Il y a, de plus, une langue écrite et une langue parlée. Celle que tu parles est une langue savante, essentiellement pratiquée à l’écrit. De plus, je ne sais pas si tu t’en rends compte, mais tu as un accent, certes assez chantant, mais très marqué.
— Un accent, moi ?
Je tombai des nues. Ainsi, ce français que nous parlions avec Grand-mère et qui nous mettait sur un pied d’égalité avec les plus beaux esprits que la terre ait portés, ce français ne serait plus qu’une langue morte, une langue en quelque sorte périmée ? Et en plus, j’avais un accent !
— Ne t’inquiète pas, Ana, tu t’y feras vite, j’en suis persuadé. En attendant, pense seulement à bien écouter comment l’on parle autour de toi et à en retenir le plus possible.
Nous étions alors à l’arrêt dans une petite gare. Un porteur, passant sous notre fenêtre, fit tomber des bagages et y alla d’un retentissant « Bordel de Dieu ! »
— Bordel de Dieu, répétai-je, docile.
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