En-dessous de la pochette, une étiquette avec son nom, Docteur Fortin. Son visage laissait transparaître une humeur plate. Ni de bonne humeur, ni de mauvaise humeur. On aurait dit une sorte d’humanoïde. C’était sans aucun doute sa façon à lui de se protéger du milieu dans lequel il exerçait. Sa façon à lui de couper entre sa vie personnelle et son travail. Une manière de ne pas rapporter tous les malheurs de l’humanité à la maison.
La guerre a la mémoire sélective. Devant le monument aux morts, la guerre est grande, héroïque, patriotique, romantique, presque belle. Elle te donnerait presque envie de courir vers elle. Je vais te raconter ma guerre, celle que j'ai vécue, la vrai guerre, pas celle des contes historiques. Car dans les livres d'histoire, la guerre sert toujours à quelque chose, la mienne, elle n'a servi à rien, du moins pas pour nous.
« Une conscience n’est pas faite pour vivre en paix. Elle est faite pour nous guider dans les choix que nous avons à faire tous les jours. »
Lui, il disait que les officiers n'aimaient pas les types trop instruits, ça fou le bordel dans l'armée. Un type instruit ça réfléchi, et s'il y a bien une chose qui dérange les officiers, c'est lorsque les soldats se mettent à cogiter. Pour lui, la guerre pour la patrie, c'était une arnaque, un mensonge, un conte pour enfant, une affabulation, presque une plaisanterie infâme pour forcer les petits à se battre pour le compte des gros.
Nous avancions avec la peur au ventre, nous ressemblions plus à des rats apeurés par l'idée de se faire prendre dans le silo à grain, qu'à des soldats envoyés dans une mission suicide essentielle à la suite de la bataille. Nous étions persuadés à chaque seconde que les boches nous avez découvert, mais rien, le silence, alors nous progressions jusqu'à atteindre la première rangée de barbelés que nous nous activions à sectionner afin d'y créer une ouverture assez grande pour pouvoir y faire passer trois ou quatre poilus durant un éventuel assaut.
[...] c'était un beau clown, pas bel homme, mais beau clown. Comme quoi un physique avantageux n'ouvrait pas forcément toutes les portes de la société.
J'avais plutôt le sentiment que le temps était immobile et que c'était uniquement nous qui foncions à toute allure. Le temps était figé, seules les choses, les personnes, les saisons et les souvenirs passaient. Le ciel sous lequel j'avais passé ma vie n'avait pas varié d'une étoile, il était toujours identique à celui que j'avais vu le jour où j'avais ouvert les yeux pour la première fois.
Il avait raison, plus on apprend tôt et plus on connaît la vie. Si j'avais eus 20 ans tout en sachant ce que je savais à 80, ma vie aurait était bien différente. Mais l'avantage de la jeunesse, c'est que l'on peut se permettre d'être naïf sans que cela ne passe pour de la bêtise. Alors qu'à 80 ans, on n'a plus aucune excuse, on peut encore être bête, mais rarement naïf.
La guerre est un monstre qui te prend en otage et qui t'oblige à faire des choses que tu n'aurais jamais faites dans une vie ordinaire. La guerre est un fantôme qui te suis partout sur le champ de bataille. Tu penses que ce sont les obus qui sifflent à tes oreilles, pas du tout, c'est lui, c'est le fantôme.
Après la guerre, les noms des officiers seront écris sur les pages des livres d'histoire et celui des poilus, sur le devant des monuments, noircis par le temps et l'oubli. On honorera les grands sur les tombes des petits. L'histoire est ainsi faite .