"Ah ! que ça passe vite, une vie ! Que ça passe vite !"
Quand mon père, bien plus tard, évoquerait devant moi ces mots que la vieille paysanne répétait, paraît-il, dans ses dernières années, c'est à l'image de ces soirs-là que me ramènerait ma mémoire. Je reverrais ma grand-mère près du seuil, immobile et tournée vers le soir. J'aurais le sentiment que ce qu'elle fixait ainsi, c'était, plutôt que le paysage lui-même, quelque chose sans doute qui était au-delà mais qu'elle ne pouvait apercevoir qu'à travers lui ; c'était, je le penserais, ces années qu'elle avait lentement traversées, mois après mois, jour après jour ; ces heures souvent si longues dont la somme, aujourd'hui, soudain lui échappait et semblait s'annuler. Ce qu'elle aurait voulu sentir se reformer, peut-être, c'était le volume du temps, c'était l'épaisseur des saisons.