Yves Simon (III)

L'anorexie est une réponse à une détresse

Il ne s'agit ni d'un caprice, ni d'un manque de volonté, ni d'une faiblesse quelconque. L'anorexie est un mode d'adaptation particulier dans un contexte d'insécurité personnelle. C'est une mauvaise solution face à de vrais problèmes psychologiques ou de vie.

Dans nos sociétés occidentales, beaucoup de personnes, surtout des femmes, font un régime. Seul un petit nombre d'entre elles développe une anorexie mentale. Cette dernière n'est pas à proprement parler une "maladie de civilisation". Elle est connue depuis plus de 200 ans et dans des contrées où la minceur n'est pas aussi valorisée qu'en Occident. Il s'agit néanmoins d'une maladie que notre culture favorise.

Les conséquences de la dénutrition perpétuent également l'anorexie en entretenant un état permanent de malaise physique et psychologique chez la personne. Par exemple, l'état de dénutrition consécutif à la restriction alimentaire, exacerbe les réactions anxieuses et dépressives. Par conséquent, plus la personne se prive de nourriture, plus elle accentue son état de dénutrition et plus elle se sent mal !
Généralement, l'anorexique ignore ce mécanisme-ci d'auto-perpétuation de son anorexie. Elle ne se sait pas victime de son anorexie, littéralement piégée par elle. Elle croit avoir le dessus, alors qu'elle est victime de sa maladie ! Paradoxalement, l'anorexie sert à amoindrir les conséquences négatives provoquées par l'anorexie elle-même, un peu comme l'alcool sert à la personne alcoolique à gérer les effets pervers de son propre comportement d'alcoolisation.

... 10 minutes de spots publicitaires vantant les mérites de la minceur suffisent à provoquer des modifications psychologiques transitoires chez des adolescentes : humeur déprimées, colère et insatisfaction corporelle.

Des arguments de plus en plus solides plaident en faveur d'une modification du métabolisme cérébral consécutive aux conduites de régime. Cette modification pourrait rendre les femmes à risque de faire des crises de boulimie. Même si ces résultats n'ont peut-être pas de rapport direct avec l'origine de l'anorexie, ils montrent clairement que les régimes ne sont pas sans conséquences sur l'organisme.
Jusqu'à ce jour, on n'a pas pu mettre en évidence de molécules ou d'interactions biologiques directement responsables de l'anorexie. Les anormalités biologiques observées dans l'anorexie sont difficilement interprétables. Elles peuvent tout autant traduire des déficits biologiques primaires, c'est-à-dire antérieurs et peut-être "responsables" en tout ou en partie de l'anorexie, que des déficits secondaires, c'est-à-dire consécutifs à l'anorexie, notamment à l'état de dénutrition de l'organisme.

... un régime continu perturbe la concentration de l'individu, lors de l'exécution d'épreuves mentales complexes où plusieurs informations à traiter entrent en compétition. Le régime interfère aussi avec les capacités d'attention du sujet. Ainsi, il ralentit le traitement d'informations non associées au régime lorsque des informations relatives au régime sont présentées simultanément ; ces dernières sont traitées en priorité, au détriment des autres informations, apparemment moins pertinentes pour l'individu. En outre, le régime biaise la mémorisation dans le sens des préoccupations de l'individu au régime. Ainsi, ce dernier se souvient-il plus aisément d'informations relatives à la nourriture et au poids que d'autres types d'informations non associées au régime.

Des citoyens du monde

Récemment encore, on croyait que l'anorexie touchait uniquement les pays occidentaux et les classes sociales favorisées. L'anorexie semble atteindre actuellement indistinctement toutes les classes sociales, les régions urbaines et rurales, les pays développés, occidentaux ou non, mais aussi d'autres pays. Par exemple, dans des pays où le surpoids est courant et socialement accepté, comme sur l'île de Curaçao dans la mer des Caraïbes, on trouve aussi des cas d'anorexie et cela avec un taux d'incidence équivalent à celui rapporté dans les pays occidentaux. Sur cette île, l'anorexie ne s'explique pas par la pression culturelle à faire un régime.

Il faut bien faire la distinction entre une "boulimie objective" et une "boulimie subjective". Une boulimie objective est un réel excès alimentaire, un épisode objectif de suralimentation. Par contre, une boulimie subjective se caractérise par le sentiment d'avoir trop mangé alors qu'objectivement ce n'est pas le cas. La plupart des personnes anorexiques croient à tort qu'elles ont des crises de boulimie - des "boulimies objectives"- alors qu'en réalité elles n'ont pas trop mangé - elles font des "boulimies subjectives". Dès qu'elles mangent plus ou différemment, elles paniquent et concluent qu'elles ont fait une "crise de boulimie".

Attirez son attention sur les points positifs

Plutôt que d'attirer l'attention de votre fille ou de votre conjoint uniquement sur les conséquences négatives de l'anorexie, comme l'ostéoporose, montrez-lui quels pourraient être, selon vous, les avantages à changer. Par exemple, se sentir physiquement plus forte, retrouver le plaisir de voir des amis, poursuivre des études dans de bonnes conditions, trouver un petit copain... Si les conséquences négatives peuvent décider une personne à consulter, à plus long terme la personne a besoin de se rattacher à une perspective d'amélioration globale de sa situation.

[...] Selon cette "théorie de l'anorexie basée sur l'activité", les standards culturels de minceur et de fitness inciteraient à maigrir en faisant un régime et du sport. La restriction alimentaire et la perte de poids induiraient un surcroît d'activité physique et l'exercice physique, en modifiant la neurochimie cérébrale, diminuerait l'appétit et favoriserait ainsi la restriction alimentaire. Les personnes se trouvent ainsi prises dans un cercle infernal. Elles perdent rapidement du poids et compromettent sérieusement leur état de santé.