Yvonne Dubois

Tout être humain, sachant écrire, devrait prendre un crayon et avec ses mots à lui, laisser trace de son vécu personnel, des secrets de son âme et de son cœur…

Je ne peux parler de notre village sans parler des cyclamens. Ils l'ont sans doute sauvé de la misère pendant plus de cinquante ans.

Quand nous sommes allés aux cyclamens à notre tour, mes soeurs et moi, une évolution s'était produite. J'avais dix ans quand j'ai commencé, en 1941. Même pendant la guerre les cyclamens se sont vendus. Nous nous levions moins tôt, les jeunes du village ne se faisaient plus concurrence. Les coupes de bois étaient nombreuses. Partout les touches rose vif des cyclamens éclairaient l'ombre des taillis. Nous partions les cueillir dans la rosée, à l'aube. Dans le ciel où clignotaient les derniers points d'or, se fanaient les mauves de la nuit. Dans les prés ou les champs de luzerne, les faucheurs couchaient un à un les andains ; leurs faux, qu'ils aiguisaient, chantaient sous la meule. Nous passions les cols à trois kilomètres du village, puis nous nous enfoncions dans la forêt. Nous dérangions quelques geais criards. Des merles pépiaient de colère. Parfois, des écureuils effarouchés fuyaient entre les branches d'un fayard, en laissant le souvenir de leur queue touffue.