Il avait plu, ce matin-là, et bien que le temps se fût éclairci, la route était encore très glissante ; elle était bordée des deux côtés de champs prêts à être moissonnés qui, délavés par les trombes d’eau, avaient pris une couleur d’un bleu vert pâle, étincelant. L’air avait une fraîche senteur d’humidité.
N’eussent été les tirs sporadiques de l’ennemi, j’aurais vraiment pu croire que nous allions au marché.
Je lui lançai un regard noir pour l’empêcher de continuer car, juste à ce moment-là, la jeune femme ressortit, avec la couverture. Dès que je la vis, je compris pourquoi elle n’avait pas consenti à la prêter. C’était une couverture flambant neuve, en satin d’imitation étrangère, décorée de motifs de lis blancs sur un fond rouge sombre.
Ce n’était pas sans raison qu’elle s’était opposée à l’estafette, mais elle me dit en me remettant la couverture : « Emportez-là. »
J’avais déjà les mains pleines, je fis donc un signe à l’estafette pour qu’il la prenne. Mais il ne semblait pas vouloir lever la tête et me regarder. J’allais l’appeler lorsqu’il s’avança l’air renfrogné, les yeux baissés, saisit la couverture, tourna nerveusement les talons et s’en fut. Mais il n’était pas encore sorti de la cour que l’on entendit un bruit sec, il s’était pris le haut de la manche dans le crochet de la porte, et un bon bout de tissu pendait à l’endroit déchiré. Tout en riant, la jeune femme courut chercher du fil et une aiguille pour lui recoudre l’accroc. Mais l’estafette refusa avec hauteur et partit, la couverture sous le bras.