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Citation de SZRAMOWO


Ce voyageur, persuadé de grimper sans cesse, avait à peine vingt et un ans et cela pouvait expliquer ses élans patriotiques. Il s’appelait Roman Kłosowicz, était originaire de Poznań et l’annonce de la guerre l’avait surpris en pleine formation d’alpiniste sur la face est du mont Kościelec, quand la nouvelle avait été hurlée par des touristes sur le sentier d’à côté. Il aurait dû rentrer à Poznań, mais l’oncle paternel qui l’élevait lui avait ordonné, dans un télégramme catégorique, de rester sur place, persuadé qu’une station de montagne serait un lieu plus sûr que la région de Grande-Pologne, frontalière de l’Allemagne, voïvodie que n’importe quel soldat désireux de se rendre plus à l’est devait traverser.Dans un premier temps, son oncle et sa tante avaient eu raison mais, à y regarder de plus près, ils s’étaient trompés. Les Allemands avaient occupé Zakopane à la vitesse de l’éclair, ils avaient posté des gardes-frontières dans tous les refuges des environs et suspendu une croix gammée en bois sur la face est du mont Mnich. Ils dirigeaient la population locale d’une main de fer pour qu’aucune idée stupide ne leur vienne en tête. Le nouveau pouvoir plaisait à certains montagnards, beaucoup moins à d’autres ; Roman, de son côté, arrondissait ses fins de mois en tant que serveur et résistait à sa manière, tentant ainsi d’aider la Pologne.Une Pologne qui, fidèle à ses habitudes, avait cessé d’exister une fois de plus. Les terres de l’Ouest, y compris Poznań, la ville natale de Roman, avaient été annexées par le Reich, les confins de l’Est étaient tombés sous le joug des Soviets, et le reste de la Pologne, dont Varsovie et Cracovie, avait été transformé en une créature étrange appelée Gouvernement général. Un certain Hans Frank en était devenu le dirigeant. Chouchou de Hitler, docteur en droit, il aimait à se présenter en tant que roi de Pologne et s’acquittait avec ferveur de sa mission de résolution définitive de la question juive, ainsi que de la résolution efficace de la question polonaise, avec pour objectif de ne laisser à court terme du peuple polonais qu’une collectivité d’esclaves obtus.Hans Frank, comme il sied à un roi de Pologne, avait pris ses quartiers dans le vieux château royal de Wawel, à Cracovie. Mais en découvrant Zakopane, situé aux pieds des montagnes, ville qui lui rappelait sa Schliersee bavaroise, il s’y était senti comme à la maison. Il avait rapidement ordonné qu’on rebaptise l’hôtel des Kalatówki – exceptionnel, car niché dans une clairière au cœur des montagnes et loin du reste de la station – en Berghaus Krakau ; il l’avait farci de SS et y avait établi une résidence de luxe où il passait presque tous ses week-ends. Il restait assis sur la terrasse, à contempler le mont Kasprowy et sirotait son thé préféré, diablement corsé et servi avec une goutte de lait par Roman Kłosowicz.En ce lendemain de Noël 1944, Roman avait effectué des allers-retours entre la cuisine et l’appartement numéro 17 du premier étage jusqu’à tard dans la nuit. Personne ne s’y amusait, personne n’y faisait la fête et, exceptionnellement, on n’y voyait même aucune putain. Roman avait vu et entendu des choses qu’il n’aurait pas dû. Mais les occupants de l’appartement sentaient déjà sur leur nuque le souffle des soldats de l’Armée rouge, stationnés non plus à des centaines, mais à des dizaines de kilomètres de Cracovie et prêts à une nouvelle offensive ; c’était donc eux le problème, pas un serveur qui en savait trop.À deux heures du matin, il tournait en rond dans sa chambrette sous les combles et n’arrivait pas à décider s’il devait se rendre chez Aniela ou si ce serait un acte précipité.À deux heures et quart, il avait pris sa décision. On était en pays occupé, on pouvait mourir à tout instant, il irait donc chez elle et c’est précisément de cet argument qu’il userait pour plaider sa cause : il était là parce qu’on pouvait mourir à chaque instant. C’est alors que la porte s’était ouverte et qu’il avait vu non pas Aniela, mais un SS gracieux qu’il connaissait de vue, l’un des prétoriens préférés de Hans Frank.Il songeait que s’il s’était rendu chez Aniela plus tôt, les Allemands l’auraient probablement retrouvé quand même mais, au moins, il n’aurait pas eu à mourir puceau.— Écoute-moi bien, car je ne vais pas me répéter, déclara l’officier allemand dans un polonais impeccable en lui tendant un objet métallique. Tu dois partir sur-le-champ et fuir en Slovaquie, trop de montagnards jouent sur les deux tableaux par ici. Cache-toi, la guerre sera finie dans quelques mois. Je n’ai aucune idée de ce qui arrivera ensuite, mais quand c’en sera terminé, tu devras remettre ceci à Karol Estreicher du gouvernement polonais en exil à Londres. Répète.
— Je devrai remettre ça à Karol Esterhaz.
— Estreicher. Répète.
— Estreicher.
— Bien. Et maintenant, dégage. Habille-toi chaudement, le temps se couvre.— Mais…
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