Quand Simon a eu neuf ans, j'ai réalisé qu'il était encore un tout petit garçon… Et qu'à son âge, j'avais vécu ce drame. Il jouait encore avec des épées, il faisait des Lego, il avait son monde imaginaire duquel la mort et le drame étaient exclus, en tout cas, à l'œil nu.
Moi à cet âge-là, j'ai eu l'impression d'avoir charge d'âme. Je devais prendre soin de ma mère. Il ne fallait pas que je montre ou que j'exprime mon chagrin parce qu'elle était malade, qu'elle était en danger. J'ai commencé à pleurer la mort de mon père à sa mort à elle. Je n'avais plus personnes à protéger de ce grand chagrin.
Avant d'atteindre mes dix ans, j'ai compris quelque chose que les gens mettent parfois une vie à comprendre : le bonheur n'est pas une ligne continue. Le bonheur, ce sont des instants de bonheur. Chaque instant qui vous donne du plaisir devient une séquence de bonheur. Un enfant qui vit heureux entouré de ses parents ne sait pas qu'il nage en plein bonheur et n'imagine surtout pas que ça peut s'arrêter comme ça, d'un coup. Moi, j'ai compris à quel point le bonheur tenait à un fil, celui des chimios de ma mère quand j'avais huit ans par exemple. p 158 - 159
Anne Goscinny