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Citation de SZRAMOWO


Pot-Bouille

Le lendemain, qui était un dimanche, Octave, les yeux ouverts, s’oublia une heure dans la chaleur des draps. Il s’éveillait heureux, plein de cette lucidité des paresses du matin. À quoi bon se presser ? Il se trouvait bien au Bonheur des dames, il s’y décrassait de sa province, et une certitude profonde, absolue, lui venait d’avoir un jour madame Hédouin, qui ferait sa fortune ; mais c’était une affaire de prudence, une longue tactique de galanterie, où se plaisait déjà son sens voluptueux de la femme. Comme il se rendormait, dressant des plans, se donnant six mois pour réussir, l’image de Marie Pichon avait achevé de calmer ses impatiences. Une femme pareille était très commode ; il lui suffisait d’allonger le bras, quand il la voulait, et elle ne lui coûtait pas un sou. En attendant l’autre, certes, il ne pouvait demander mieux. Dans son demi-sommeil, ce bon marché et cette commodité finissaient par l’attendrir : il la voyait très gentille avec ses complaisances, il se promettait d’être meilleur pour elle, désormais.

— Fichtre ! neuf heures ! dit-il, réveillé tout à fait par la sonnerie de sa pendule. Il faut pourtant se lever.

Une pluie fine tombait. Alors, il résolut de ne pas sortir de la journée. Il accepterait une invitation à dîner chez les Pichon, qu’il refusait depuis longtemps, par terreur des Vuillaume ; ça flatterait Marie, il trouverait l’occasion de l’embrasser derrière les portes ; et même, comme elle demandait toujours des livres, il songea à lui faire la surprise d’en apporter tout un paquet, resté dans une de ses malles, au grenier. Lorsqu’il fut habillé, il descendit prendre, chez M. Gourd, la clef de ce grenier commun, où les locataires se débarrassaient des objets encombrants et hors d’usage.

En bas, par cette matinée humide, on étouffait dans l’escalier chauffé, dont les faux marbres, les hautes glaces, les portes d’acajou se voilaient d’une vapeur. Sous le porche, une femme mal vêtue, la mère Pérou, à qui les Gourd donnaient quatre sous de l’heure pour les gros travaux de la maison, lavait le pavé à grande eau, en plein sous le coup d’air glacé, soufflant de la cour.

— Eh ! dites donc, la vieille, frottez-moi ça plus sérieusement, que je ne trouve pas une tache ! criait M. Gourd, chaudement couvert, debout sur le seuil de sa loge.

Et, comme Octave arrivait, il lui parla de la mère Pérou avec l’esprit de domination brutale, le besoin enragé de revanche des anciens domestiques, qui se font servir à leur tour.

— Une fainéante dont je ne peux rien tirer ! J’aurais voulu la voir chez monsieur le duc ! Ah bien ! il fallait marcher droit !… Je la flanque à la porte, si elle ne m’en donne pas pour mon argent ! Moi, je ne connais que ça… Mais pardon, monsieur Mouret, vous désirez ?

Octave demanda la clef. Alors, le concierge, sans se presser, continua à lui expliquer que, s’ils avaient voulu, madame Gourd et lui, ils auraient vécu en bourgeois, à Mort-la-Ville, dans leur maison ; seulement, madame Gourd adorait Paris, malgré ses jambes enflées qui l’empêchaient d’aller jusqu’au trottoir ; et ils attendaient d’avoir arrondi leurs rentes, le cœur crevé d’ailleurs et reculant, chaque fois que l’envie leur venait de vivre enfin sur la petite fortune gagnée sou à sou.

— Il ne faut pas qu’on m’ennuie, conclut-il en redressant sa taille de bel homme. Je ne travaille plus pour manger… La clef du grenier, n’est-ce pas ? monsieur Mouret. Où avons-nous donc mis la clef du grenier, ma bonne ?
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