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4.17/5 (sur 6 notes)

Nationalité : Canada
Né(e) : 1986
Biographie :

Éric St-Pierre est un écrivain et éditeur.

Il travaille dans le milieu de l’édition depuis 2011.

Après la publication d'un premier roman satirique ("Comment écrire Comment écrire un best-seller", 2017) s'appuyant sur le métier d'écrivain, il lance un récit d'aventures déjanté ("Rabaskabarnak", 2019) qui mène le lecteur dans un futur apocalyptique quelque trois siècles après la fin de l'humanité.

Éric St-Pierre vit à Montréal.

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Bibliographie de Éric St-Pierre   (3)Voir plus

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Citations et extraits (9) Ajouter une citation
Seule, on est bien mieux, songeait parfois Ève.
De larges traces de pas, dans la neige, s’étiraient à
perte de vue derrière elle. Au loin, là où sa piste s’es-
tompait, on distinguait tout juste le sommet d’une
montagne. Agile malgré les nombreuses couches de
vêtements qui l’emmitouflaient, elle progressait en de
longues foulées égales, risquant, aurait-on pu croire,
de trébucher dans les grandes raquettes qui suppor-
taient son poids. Dans la clarté muette de l’après-midi,
on pouvait entendre l’écho étouffé de la neige craquant
sous ses bottes.
Elle s’accorda une courte pause et inspira longue-
ment l’air vif à travers son foulard, les moufles appuyées
sur les hanches. Elle leva la tête vers le ciel – désert –,
puis scruta les alentours. Quelques serpents de pou-
dreuse sinuaient autour d’elle pour aller se déposer dans
les congères avoisinantes. Elle imagina, impassible, ses
traces peu à peu avalées dans la grande blancheur.
Depuis des années, elle avait pris la mesure de la région.
Elle y était née, y avait grandi, tant et si bien qu’elle
était persuadée de pouvoir s’y retrouver de jour comme
de nuit, indépendamment des conditions météo ou des
pistes qui disparaissaient après son passage.
Elle dévia brusquement de la ligne droite qu’elle
s’était imposée jusqu’alors et s’empressa en direction
d’un sous-bois à quelques mètres de là. Arrivée à hau-
teur d’un petit buisson, elle se pencha précautionneu-
sement à un endroit où le branchage s’était scindé pour
former une minuscule arche naturelle. Un œil exercé
pouvait déduire que les éléments n’avaient rien à voir
avec cette aspérité creusée dans l’arbuste : on y avait
délibérément ouvert un passage qui se voulait invitant
pour de petits animaux.
Comme de fait, Ève se redressa triomphalement la
seconde d’après, brandissant par les oreilles sa première
prise de la journée: un lièvre blanc – inerte –, une proie
difficile à chasser dans ces conditions, mais facile à
piéger. Satisfaite, elle fourra l’animal dans une besace
qu’elle portait en bandoulière. Elle repositionna le collet
et reprit son chemin, la démarche un peu plus guille-
rette.
Elle profitait de sa récolte de gibier pour s’éloigner
un peu de la cacophonie du village. Elle ne se sentait
jamais aussi sûre d’elle-même que lorsque se taisaient
enfin, dans le lointain, les sévères injonctions des
matriarches ; les appels criards des enfants qui jouaient;
le brouhaha du marché ; les contes absurdes et les rires
autour des feux pérennes... pour tout cela, bien
entendu, elle éprouvait une forme de gratitude et de
révérence. N’empêche qu’elle avait grandi dans un uni-
vers encombré de règles, de rituels, de recettes et de
codes, et jamais elle ne s’était sentie en droit d’inter-
roger les motifs derrière le voile d’acier que dressaient
ces dogmes entre sa communauté et le reste du monde.
Dès qu’elle avait été en âge de marcher et de parler,
on l’avait formée malgré elle à l’art de la survie en forêt.
De longues et douloureuses séances d’entraînement
au combat au corps-à-corps lui avaient été infligées,
avant qu’on ne lui inculque, pour couronner le tout,
des techniques avancées de maniement d’armes de
toutes sortes. Or, malgré ses compétences désormais
éprouvées en ces matières, on lui défendait strictement
de s’aventurer à une distance du village qu’elle aurait
été incapable de parcourir en sens inverse la journée
même. Pourquoi l’astreindre toujours à toutes ces obli-
gations ? Certes, lors des cérémonies hebdomadaires
auxquelles on la conviait, elle devinait obscurément le
statut spécial dont elle jouissait: celui d’aînée de sa géné-
ration, avant toute autre chose. Les enfants posaient sur
elle le même regard intrigué qu’elle devait réserver à ses
propres légendes. Pourtant, elle ressentait moins vive-
ment l’angoisse de ses aïeules quant aux dangers qui –
prétendument – la guettaient en permanence. Sa vie
était restée lisse, exempte d’incident, heureuse, même,
au contraire des prophéties pessimistes qu’on lui avait
sentencieusement déclamées. Quels arguments feraient
un jour le poids contre des interdits dressés par des
ancêtres depuis longtemps disparus ?
Et puis, pourquoi sa mère et Gaston n’avaient-ils
jamais pu trouver le bonheur ensemble ?
Un sentiment doux-amer la prit à la gorge alors
qu’elle se penchait sur un second collet. Ève interrompit
son geste et porta la main à l’intérieur de son manteau,
comme mue par une impulsion qui échappait à son
contrôle. Elle en retira deux petits cordons aux embouts
caoutchoutés, qu’elle planta au creux de ses oreilles. Sa
main glissa le long des deux cordons et s’en alla jouer
quelque part dans les replis de sa veste. Soudain, son
visage s’illumina. Dans la solitude des vastes espaces,
Ève sentait véritablement qu’elle était capable d’exercer
des choix éclairés : personne ne lui disait plus quoi faire.
Elle redevenait l’unique maîtresse de son destin. D’une
manière peut-être un peu différente, cependant, une
autre chose, bien plus que la solitude, éveillait chez elle
l’intuition de la liberté.
Le rock and roll.
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Ses sœurs lui en avaient longtemps voulu de s’être
ainsi attaquée à l’une de leurs légendes. D’avoir, en
substance, jeté en bas de son piédestal une idole qu’elles
chérissaient – symbole mythique d’harmonie, non seule-
ment antérieur au schisme mais qu’on supposait même
avoir vécu à l’époque des Anciens. Gaston, pourtant,
Gaston-les-yeux-tristes, l’avait passionnément encou -
ragée dans ses démarches. Depuis qu’elle était capable
de serrer les doigts, elle n’avait cessé de refermer ses
menottes sur des objets où figuraient des images du
King : des feuillets de papier glacé et jauni où l’on pou-
vait voir, par exemple, le King embrassant une femme
blanche et menue, la langue sortie avec l’air de s’en
moquer ; le King vous enveloppant de son regard sen-
timental ; ou encore une statuette à son effigie, le dépei-
gnant sur la pointe des pieds, les genoux arqués... Elle
avait immédiatement été happée par le bien-être irra-
diant de ces antiquités. N’attribuait-on pas, d’ailleurs,
des vertus curatrices aux objets qu’on croyait lui avoir
appartenu ? Son intérêt n’échappait jamais à l’atten-
tion de son parrain, grand collectionneur d’artefacts,
chaque fois qu’elle le visitait : elle se vautrait, presque,
dans les amas de vieille ferraille dont plus personne ne
voyait l’utilité, dans l’unique espoir d’en ressortir avec
une nouvelle rareté.
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Avec diplomatie, fais savoir à tes invités que le poids d’une seconde, tierce, quarte ou quinte opinion sur la qualité de leur prose pèse bien peu dans la balance face à un refus catégorique auparavant exprimé. « Néanmoins, continueras-tu, un autre nom sur la page frontispice pourrait, à terme, valoir au document d’être retiré des tablettes où il accumule actuellement la poussière. » Joue en même temps de ton influence auprès des acteurs appropriés pour forcer la reconsidération d’une publication.
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Un pseudonyme masculin t’ouvrira des portes et offrira à tes livres un accès auquel il ne t’aurait jadis nullement été permis de rêver. La seule exigence de cette approche sera de laisser ton travail, une fois accompli, vivre par lui-même, sans autre intervention d’une femme qui, on le sait, n’aurait jamais pu accoucher d’un tel chef-d’oeuvre.
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Tu as pris la décision active de mettre la main sur le groupe démographique le plus nombreux et le plus constamment renouvelé d’entre tous, c’est-à-dire les créateurs en manque de débouchés, et de leur faire miroiter la possibilité d’une vie meilleure grâce à des conseils lumineux.
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Peut-être pourras-tu t’appuyer sur les statistiques de consultation : si ton texte a été téléchargé plus de deux cents fois, même gratuitement, cela se traduit en somme par le fait que « des centaines de lecteurs se sont déjà familiarisés avec sa pensée ».
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Les gens débrouillards savent faire contre mauvaise fortune bon cœur – ne naissons-nous pas tous nus et égaux? Tout ce qui s’ensuit dans la vie est une question de choix et de bonne volonté, crois-en les animateurs d’émissions de radio privées.
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Entendons-nous bien : des best-sellers se sont écrits et se sont vendus avant ta naissance, et avant la mienne aussi, même s’il me peine de l’admettre.
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Ce n’est pas en écrivant que l’on exhibe son talent. Il existe tant d’autres aspects à ton travail qu’il est dangereux de laisser au hasard.
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