Son profil énigmatique était indéchiffrable et sa solitude éveillait en moi d'innombrable échos, comme le tintement d'un vase de cristal repris par les autres objets endormis dans une vitrine. Je me sentais soudain perdu parmi les habitants de la ville, qui demeuraient pour moi de parfaits étrangers. Je ne comprenais pas pourquoi je pouvais me les représenter avec autant de précision. À chaque détail inutile qui me revenait à l'esprit, je m'estimais la victime d'une mémoire que je ne contrôlais plus. Une sculpture presque effacée dans un linteau de pierre –la poignée de la porte à tambour du café. La figure osseuse du tailleur, avec son nez trop long marqué par deux protubérances, était l'une des images les plus insistantes. (Je ne sais pourquoi, dès que je le vis je me dis qu'il en avait eu d'abord une seule et que la seconde était venue par la suite, comme la marque d'un péché.) Par contre, le visage de sa fille ne gardait désormais pas plus d'importance qu'un tiroir oublié ouvert dans une chambre d'hôtel où l'on sait qu'on ne reviendra jamais. Quant à Kati, je n'y pensais plus, un peu comme on ne compte pas la chemise qu'on porte quand on fait l'inventaire de sa garde-robe. Cette solitude partagée était pour moi un don de l'inconnue. Je contemplais avec reconnaissance la mince silhouette vêtue de noir.
Qui pourrait démonter les milliers de leviers cachés grâce auxquels, de l'intérieur, le reflet des objets qui nous entourent nous manipule, modifie nos impressions et parfois nos décisions les plus importantes?