D'UNE INTERMITTENCE
Devant cet arbre.
Devant cet arbre ou ce visage
Voici que je reviens devant cet arbre
Que je retourne encore à ce visage
Que je m'arrête aux fols bourgeon de ces paupières
Que je m'attarde à comparer des yeux, des branches
Voici que de nouveau je suis devant le monde
Devant la porte ouverte et non devant moi-même
Devant le ciel tourbillonnant d'étoiles
Devant mon infini de terre ensoleillée
Devant cet homme allant sans me connaître
Devant cet autre aux mains tendues
Devant la femme et son premier sourire
Devant la foule et son accueil chantant
Voici que je reviens devant les simples pierres
Que je retourne encore à leurs baisers de mousse
Que je m'arrête au tremblement d'une aile
Que je m'attarde à cette écume, à ce nuage
Que de nouveau je suis devant les routes…
D'UNE INTERMITTENCE
…Devant ce clair sentier que je retrouve à l'aube
Devant ce dur chemin de nuit qui me ramène
Devant le feu qui me reçoit, devant ses flammes
Devant la chambre vide et le miroir fidèle
Devant ces murs, ma table et ma fenêtre
Devant le livre abandonné, la lampe éteinte –
Et tout à coup devant cette heure absurde
Où je ne sais plus voir que l'invisible
Ce noir béant qui se refuse
Ce gouffre que je fuis
Je parle d'un frisson dans la durée
D'un brusque instant de mort dans le souci de vivre
De l'ordre naturel qui se défait soudain
… Et je reviens devant cet arbre
Ici devant cet arbre, ailleurs devant les pierres
Voici que je retourne encore à ces visages
Que je m'arrête à comparer mes certitudes
Que je m'attarde à rassembler les évidences —
Voici que de nouveau je suis devant le monde
Devant la porte ouverte et non devant moi-même
Pour rebâtir le socle de l'espace
Et renouer le fil du temps
ÊTRE EN CAUSE
Je vois, j’entends, je parle
Je vois pour les muets
J’entends pour les aveugles
Je parle pour les sourds
Le monde étant le monde
— Aveugle, sourd, muet —
Je vais où je demeure
Mais je ne tremble plus
L'ÉTERNELLE VARIANTE
Voici des mots, des mots encore
Des mots toujours, des mots quand même
Des mots pour croire à notre amour
Des mots pour joindre le bonheur
Des mots qui m'ont appris à vivre
Des mots qui sont déjà la vie
Des mots qui m'ont vanté la mort
Des mots qui ne seront jamais
Des mots de joie et de lumière
Des mots refaits à ton image
Des mots d'ivresse et de ferveur
Des mots pétris selon ta voix
Des mots de doute et de reproche
Des mots que le silence égare
Des mots d'angoisse et de regret
Des mots que la douleur ternit
Des mots d'espoir, des mots d'alarme
Des mots d'oubli, des mots de rêve
Des mots de chair, des mots de sang
Des mots, des mots — voici des mots
Découvre-les (miroir du vide
Que je remplis de ta présence)
Ces mots nommés, ces mots sans nom
Plus beaux d'un chant, plus vrais d'un cri
Si traîtres de s'offrir ensemble
De s'accorder, de se répondre
Si prometteurs d'attendre seuls
Se déchirant, se refusant
Peut-être qu'ils voudront te dire
À toi voulant les reconnaître
Les accueillir, les recevoir
Et les garder comme un refrain —
Peut-être qu'ils sauront te dire
Par d'autres lèvres que les miennes
Par d'autres jeux moins tâtonnants
Le sens aveugle qu'ils m'ont tu
ART POÉTIQUE
Je dis facile
Et tout devient très difficile
Je dis par contre difficile
Et de nouveau tout est facile
Verrou brisé, fraîcheur de porte ouverte
Je fonce — une ombre parle et la lumière écoute
Mais que l'effort me soit facile ou difficile
Je sais garder l'ahan pour moi
UNE ELEGIE
Il se fît un désordre de rêve
Un désordre accablant et sans fin
Sur la terre invisible et brumeuse
Sur la face invisible des eaux
Un désordre de gouffre et de chute
Plus amer que le fiel du sommeil
Un désordre d'attente et de larmes
Au milieu de la terre et des eaux
Et la terre était noire et brumeuse
Et le jour retournait à la nuit
Et le monde attendait dans l'abîme
Et le ciel chavirait dans les eaux
Et ce rêve accablait le désordre
D'un mutisme de pluie et de vent
Et la pluie accourait sur la terre
Et le vent demeurait sur les eaux
Et le jour comme une ombre accablante
Et la nuit comme un trouble sans fin
S'arrachaient au sommeil de la terre
Et veillaient sur la cendre des eaux
Et la vie était lente et brumeuse
Et la mort répondait à ses cris
Et la terre était loin de la vie
Et la mort descendait sur les eaux
Et la loi de la vie était bonne
Et le temps de la mort était bref
Et le monde arrêtait ses ténèbres
Au milieu de la terre et des eaux
Il se fît un désordre moins proche
Un désordre de rêve et de fiel
Et la terre engendrait le désordre
Et le ciel chavirait dans les eaux
Un désordre de terre accablée
Sur la terre invisible et sans fin
Un désordre d'eau noire et brumeuse
Sur la face invisible des eaux
Et la vie ordonnait le désordre
Et la mort retournait à la mort
Et la mort se taisait sur la terre
Et la vie écoutait sur les eaux
Et la loi de la vie était juste
Et le temps de la mort était bref
Et le monde ajoutait son attente
Au tourment de la terre et des eaux
Et le jour remontait de l'abîme
Et la nuit retournait à la nuit
Et la pluie accourait sur la terre
Et le vent demeurait sur les eaux
Et ce fut dans le vent, dans la pluie
Un désordre de rêve et d'amour
Et l'amour était neuf sur la terre
Et le rêve était vieux sur les eaux
Et la vie et la mort étaient justes
Et le rêve et l'amour étaient bons
Et la vie écoutait sur la terre
Et la mort se taisait sur les eaux
Il se fit un désordre de rêve
Un désordre de vie et de mort
Et l'amour refleurit sur la terre
Et le ciel éclata sur les eaux
Pour être là, pour être écume à ce rivage
Rivage à cet endroit, soleil à ce matin
Cet ordre ou ce néant, racine ou vague ou pierre
Ou cette ortie encore au bas du mur, ce mur
Pour être ce qu’ils sont - rencontre, état, présence
Et signe avec l’espace et preuve avec le temps
Il faut que je m’arrête et que je les rassemble
Et que d’abord je sois et que je sois présent
PRIVILÈGE
Un oiseau de passage
Un oiseau sur la branche
Une étoile inconnue
Une étoile à connaître
Et le nom de cette heure
Et l'amour qui la nomme
Hirondelle ou mésange
Marguerite ou jonquille
Je les cherche et les trouve
Je les trouve et les chante
Bel oiseau, belle étoile
— Nous chantons pour leur plaire
QUELQUE PART
Tourné vers l'immobile et le parfait des terres
Je n'ai pas vu la mer ni son galop d'écume
S'ouvrir là-bas, monter, se tordre et se détordre –
Je regardais plutôt le ciel changer d'étoiles
Et de nouveau le jour se fondre dans la nuit
NUIT
Rien n'est fini, j'avance encore et je tâtonne
La terre est ivre d'eau, le feu retourne à l'air
L'hiver se fait printemps, l'été mûrit l'automne –
Au bout du jour, la nuit me dresse à voir plus clair