Tandis que de nos jours, de l’autre côté de l’Atlantique, s’élève et se développe, sous l’influence seule du principe de liberté, un grand peuple, dont les progrès merveilleux étonnent le monde, — dans le même temps, sur le continent européen, un autre empire prospère et s’étend aussi dans d’immenses proportions sous les auspices et avec la protection seule du principe contraire, le pouvoir absolu. À part la question de savoir quelle est dans chacune de ces sociétés, — la société américaine et la société russe, — la condition plus ou moins heureuse des individus, il est certain que toutes les deux grandissent incessamment, semblent marcher d’un pas égal et comme à l’envi l’une de l’autre. Mêmes efforts d’extension par la conquête et par la colonisation, mêmes aspirations presque irrésistibles de l’une vers le passage du Bosphore, de l’autre vers l’isthme de Panama ; chez l’une et chez l’autre, d’immenses forêts que la cognée abat et que la charrue fertilise ; dans toutes les deux, de riches moissons dont les produits couvrent le monde ; ici les blés d’Odessa et les mines de la Sibérie, là l’or de la Californie et les cotons de la Nouvelle-Orléans ; ici une marine marchande dont l’accroissement est prodigieux, là une armée de terre dont l’augmentation semble ne connaître aucune limite. Quand on contemple le développement, sinon pareil, du moins simultané, de ces deux peuples, dont les institutions sont si opposées, on est frappé d’une comparaison qui s’offre sans cesse à l’esprit : c’est celle des moyens divers qu’emploient le despotisme et la liberté pour fonder des sociétés et des empires, de leurs procédés communs, des méthodes et des ressources propres à chacun d’eux, de leurs principes, de leurs effets différons ou semblables.
« Les femmes américaines ont en général un esprit orné, mais pas d’imagination, et plus de raison que de sensibilité *.
Elles sont jolies ; celles de Baltimore sont renommées pour leur beauté parmi toutes les autres.
Leurs yeux bleus attestent une origine anglaise, et leur chevelure noire l’influence des étés brûlants. Leur constitution frêle et délicate soutient une lutte inégale contre les rigueurs d’un climat sévère, et les variations subites de la température. On ne peut se défendre d’une impression douloureuse en pensant que cette beauté, cette fraîcheur, et toutes ces grâces de la jeunesse se flétriront avant l’âge, et seront frappées d’une destruction cruelle et prématurée **.
L’éducation des femmes aux États-Unis diffère entièrement de celle qui leur est donnée chez nous.
En France, une jeune fille demeure, jusqu’à ce qu’elle se marie, à l’ombre de ses parents : elle repose paisible et sans défiance, parce qu’elle a près d’elle une tendre sollicitude qui veille et ne s’endort jamais ; dispensée de réfléchir, tandis que quelqu’un pense pour elle ; faisant ce que fait sa mère ; joyeuse ou triste comme celle-ci, elle n’est jamais en avant de la vie, elle en suit le courant : telle la faible liane, attachée au rameau qui la protège, en reçoit les violentes secousses ou les doux balancements.
En Amérique, elle est libre avant d’être adolescente ; n’ayant d’autre guide qu’elle-même, elle marche comme à l’aventure dans des voies inconnues. Ses premiers pas sont les moins dangereux ; l’enfance traverse la vie comme une barque fragile se joue sans périls sur une mer sans écueils.
Mais quand arrive la vague orageuse des passions du jeune âge, que va devenir ce frêle esquif avec ses voiles qui se gonflent, et son pilote sans expérience ?
L’éducation américaine pare à ce danger : la jeune fille reçoit de bonne heure la révélation des embûches qu’elle trouvera sur ses pas. Ses instincts la défendraient mal : on la place sous la sauvegarde de sa raison ; ainsi éclairée sur les pièges qui l’environnent, elle n’a qu’elle seule pour les éviter. La prudence ne lui manque jamais.
Ces lumières données à l’adolescente sont une conséquence obligée de la liberté dont elle jouit ; mais elles lui font perdre deux qualités charmantes dans le jeune âge, la candeur et la naïveté. L’Américaine a besoin de science pour être sage : elle sait trop pour être innocente *.
Cette liberté précoce donne à ses réflexions un tour sérieux, et imprime quelque chose de mâle à son caractère. Je me rappelle avoir entendu une jeune fille de douze ans traiter dans une conversation et résoudre cette grande question : « Quel est de tous les gouvernements celui qui de sa nature est le meilleur ? » — Elle plaçait la république au-dessus de tous les autres.
Cette froideur des sens, cet empire de la tête, ces habitudes mâles chez les femmes, peuvent trouver grâce devant la raison ; mais elles ne contentent point le cœur. Tel fut le premier jugement que je portai sur les femmes d’Amérique ; cependant je rencontrai dans le monde une jeune personne dont le caractère, tout à la fois impétueux et tendre, vint ébranler cette impression.