« Comme Joseph K., dans le Procès de Kafka, le héros du livre de Vaculík [1926-2015] travaille dans une banque. [
]
[
] On ne vole pas que de l'argent à la banque d'État, on dérobe aussi et surtout des identités. Il y a une circulation obscure des individus.
[
] son livre propose [
] plutôt qu'une simple image symbolique de la Tchécoslovaquie, une courageuse et douloureuse recherche de nouvelles certitudes, de nouvelles perspectives. [
] les « vérités » les plus élémentaires concernant l'homme et le monde. le moindre événement, au cours du récit, est aussitôt soumis à un impitoyable « démontage » critique, visant à accuser et démystifier les divers lieux communs, « progressistes » ou réactionnaires, qui, sans même que nous nous en doutions, nous cachent chaque jour davantage la réalité. [
] » (Les traducteurs)
« [
] Qui ne sait trouver l'équilibre dans la vie, ne tardera pas à mourir rongé de vaines ambitions, de jalousie niaise et de basse envie. Un homme normal n'écrit nulle part. Ou bien ses affaires sont en ordre, tant en ce qui concerne la banque que la langue, ou bien elles ne le sont pas, mais dans ce cas, s'il y a un peu d'ordre dans sa tête du moins, il doit savoir qu'il ne tient qu'à lui de tout arranger. Tout au plus, certains peuvent un moment abuser de sa misère, avant de le laisser définitivement tout seul. Alors pourquoi gribouiller ? Mieux vaut roupiller. L'écriture est toujours l'expression d'une impuissance, ou la conséquence d'un dérèglement des nerfs, elle trahit les complexes ou la mauvaise conscience. [
] » (Ludvík Vaculík)
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4:40 - 4e extrait
6:06 - Générique
Référence bibliographique :
Ludvík Vaculík, Les Cobayes, traduit par Claude Courtot, Éditions Attila, 2013
Vignette et image d'illustration :
https://jeremyboulardlefur.fr/Les-cobayes
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/af/Ludvík_Vaculík_2009a.jpg
Bande sonore originale : Carlos Viola - Forgotten Streets
Site :
https://thegamekitchen.bandcamp.com/track/forgotten-streets
#LudvíkVaculík #LesCobayes #LittératureTchèque
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Notre existence actuelle est de nature active. On vit sa vie comme un long assaut. La vie entière de la société, les manières de travailler, de prier, de se divertir, tout est imprégné d’agressivité ; reconnue, cultivée, acceptée, planifiée. Ne parlons même pas de la production ou de la diplomatie, puisque la prière déjà m’apparaît comme une agression envers Dieu. Toute notre éducation nous a appris à ne viser finalement qu’un but : l’autosatisfaction.
(p.38)
Quand je rencontre un enfant bête, je m’étonne que ça puisse exister. Y a-t-il de jeunes écureuils bêtes dans la forêt ? Aucun d’entre nous n’apprécie les adultes jobards et imbéciles, mais les petits nigauds, les jeunes idiots, sous le couvert de l’enfance, se faufilent librement parmi nous, profitent de notre indulgence pour tout ce qui est petit, et jouissent de notre amour, de notre bonté, de notre patience, de notre compréhension, de notre esprit de sacrifice et de notre tolérance. Et pourtant, une fois adultes, ils seront les premiers à faire oublier à chacun toutes ses bonnes qualités. C’est à coups de savates qu’ils traiteront la patience, à coups de poings, la tolérance.
(p.149)
Le misérable situé au plus bas de l’échelle sociale se caractérise par son impuissance absolue. Il est triste, puisqu’il est soumis à tout et que rien ne lui est subordonné. Mais qu’un seul être lui soit inférieur et le monde change pour lui. L’échelle sociale lui semble s’allonger et son extrémité s’éloigne de lui d’une longueur de cheval, d’une hauteur de vache, d’une épaisseur de chien. Celui qui s’est toujours senti chien, connaît à partir du moment où on lui fait cadeau d’un chien, à lui, des instants où il peut donner des ordres et des coups de pied à quelqu’un.
(p.28)
J’ai terminé la lecture de « La Dame rose » de Lenka Prochazkova. – Bon. Je parierais que la romancière souhaite pour elle une solution heureuse, comme celle que connaît son héroïne Kytka. C’est-à-dire de trouver un homme, même plus âgé, à qui il ne faudrait rien expliquer, et avec qui tout se passerait dans le calme. Quel âge peut-elle avoir ?
De Ludvik Vaculik en p. 259
Quand l’envie vous prend d’accomplir un acte risqué, dangereux ou mauvais, il faut soit y renoncer purement et simplement, soit l’accomplir simplement et rapidement. Si l’on se met à hésiter cruellement, on risque finalement de perdre toute confiance en soi en tant que maître de ses propres actes.
(p.176)
Qui ne sait trouver l’équilibre dans la vie, ne tardera pas à mourir rongé de vaines ambitions, de jalousie niaise et de basse envie.
(p.48)
Hier soir, Karel Kosik s’est mis à parler dans son jardin de la virilité dans la politique : il paraît qu’au XVIIIe siècle, l’homme qui voulait agir sur le monde, répondait encore de sa décision par sa parole et par sa vie. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Autant que les femmes ont perdu leur féminité, les hommes, dans la vie de tous les jours, sont devenus efféminés. Dubcek pleurait, Husak s’émut lui-même aux larmes. Carter a commencé en écrivant à Sakharov, et il a fini dans les bras de Brejnev.
Le 22 juillet 1979 - p. 291
Le Géant distribue les cadeaux chez nous depuis une trentaine d’années. Lorsque le pouvoir d’Etat, à la place du Petit Jésus, nous a parachuté un certain Père Noël avec sa troïka, ce croquant inconnu qui faisait semblant d’être d’origine populaire alors que c’était un avorton des instances du Parti, nous avons appelé, pour lui faire face, le Géant*. Du moins, il ne devait pas feindre stupidement d’être venu sur la luge russe alors que dehors il n’y avait que de la boue.
-Lundi 24 décembre 1979- p. 517 *Le Géant (en tchèque « Krakonos ») est, selon la tradition populaire, l’habitant et le maître de Krkonose, montagne située au nord de Prague.
Le cobaye a de la chance de ne pas être tombé sur une de vous autres, petites filles ou, pis encore, vous autres, petites chéries. Les petites chéries sont ce qu’il y a de pire aujourd’hui. Aucune occupation, aucun souci, en fait, et quand elles veulent, plus tard, se soucier de quelqu’un, elles ne s’occupent en fait que de lui nuire, par la faute de leurs mères stupides. Stupides signifie pomponnées, paresseuses et médiocres. J’en ai plein le dos de vos mères, petites chéries comme ça. Je frémis en me demandant qui nos garçons pourront bien épouser, mes petites ignorantes universelles et grimacières, qui ne savez pas même jouer de ce fichu piano !
(p.40-41)
Si tu n’arrives pas à écrire, alors écris, ce qui t’empêche d’écrire ! Note ce que tu vois, ce que tu entends dire, ce qui te vient à l’esprit. Tu t’es élaboré un style dans tes chroniques qui sont absolument parfaites !
De Jiri Kolar à Ludvik Vaculik p. 528.