Je suis déshonoré, traître à la patrie. ma carrière est foutue.
Juste au moment où on m’appelle à Moscou pour être nommé sous commissaire adjoint aux relations musicales avec l'étranger. Je dois immédiatement faire mon autocritique !
Épilogue
Le 29 août 1938
Chère Roma,
(...) J'ai tenu plus de trois semaines à Paris.Pourtant dès la première semaine, je me suis rendu compte que je ne pourrais pas réaliser le programme que je m'étais fixé. Quelle naïveté de ma part de partir à la conquête de Paris ! N'est-ce pas la ville la plus sélecte,la plus autonome, la plus fermée du monde ? (...)
Pourtant je suis content d'être allé à Paris, j'y ai vu beaucoup de choses étonnantes ; j'ai enfin vu de près-et non plus en reproductions-l'art des grandes époques. Je me suis aussi débarrassé des illusions que je me faisais: j'ai renoncé à l'idée de faire une carrière à l'échelle mondiale. (...)
(p.85)
- Te voilà bien funèbre, Kuszczak, ça ne te ressemble guère. Tu devrais me fréquenter un peu moins.
Kuszczak avait lu les livres de Schulz, bien lus, sans qu'il l'eût jamais évoqué. Lui, le disciple des Lumières, qui pleurait chaque année le jour anniversaire de la mort de Copernic (seul élan sentimental qu'il pût supporter), ne vouait guère d'indulgence aux élucubrations romanesques. Celles de son ami l'émouvaient cependant et, s'il lui en avait parlé, c'eût été comme avouer avoir regardé par le trou de la serrure.
La littérature de Bruno Schulz ne lui était pas destinée. leur commerce régulier était leur littérature à tous deux. A tous deux seulement. (p.11)
Il se perdit néanmoins dans la contemplation des ponts, qu'ils tournent ou qu'ils enjambent, complémentaires et contradictoires, et plus longtemps encore devant les biefs où les péniches ne pesaient pas bien lourd dans la main de Dieu. Bien qu'il eût étudié scientifiquement ces mécanismes à l'Ecole polytechnique, il n'en gardait pas moins cette dose d'inconnu qui enchantait le monde, parfois. (p. 57)