Ô Volga !... mon berceau !
Qui t’aima jamais comme moi !
Seul aux aurores,
Quand tout encore au monde dort,
Et qu’un éclat vermeille à peine glisse
Sur tes vagues bleu sombre,
Je m’enfuyais vers mon fleuve natal.
Je vais au secours des pêcheurs,
J’erre avec mon fusil dans les îles,
Tantôt comme un poulain qui joue
Au haut d’une pente abrupte sur le sable.
Je m’élance tantôt sur la rive du fleuve,
Je cours, lançant des pierres,
Et je chante une sonore chanson
Célébrant ma précoce audace.
"Né en 1821 (vingt-deux ans après Pouchkine et la même année que Dostoïevski) dans un village du gouvernement de Podolie, son enfance et sa jeunesse furent un ténébreux orage, d’où le sauvèrent les élans intermittents d’une indomptable et sauvage énergie, et l’amour tourmenté, mais étonnement fidèle du sol natal, de la terre russe. Son père était un officier mué en chef de police, un tyran, une sorte de satrape, d’une violence inouïe. De sa mère, fille d’un magnat polonais, et de sa sœur les silhouettes frêles et funèbres obsédèrent jusqu’à sa mort sa mémoire. Dévaler comme un poulain les rives de la Volga, les cribler de pierres en chantant à tue-tête, furent ses consolations solitaires… […]"
Citation : Camille Marcoux, Revue Arts et Livres, n°6, juillet 1946, sous le titre : N. A. Nekrassov (1821-1877).
Quoi qu’on ridiculise
Quoi qu’on ridiculise les rêveurs en tous temps,
Quoi qu’il y ait en eux bien des choses drôles, vraiment,
Je dirais toutefois qu’ils me consolent,
À l’heure où je souffre d’être seul,
De pouvoir, au moyen d’un rêve, tout oublier
Faire venir de l’obscurité des traits familiers,
Dans les moments de tristes réflexions et chagrins
Errer parmi les lieux de nos promenades d’antan,
Parfois, le soir venant, il m’arrive même,
En admirant la lune triste et blême,
De me rappeler ce jardin et cette allée sombre
Où, charmés par la lune, nous demeurions cachés dans l’ombre,
Et plus encore ravis de notre amour
Que du charme de la lune et des alentours,
Nous laissions nos regards amoureux se croiser
Et nos lèvres se mêler en un très long baiser…
1845
(traduit du russe par Véronika Perminova)
Le petit cheval s’est empêtré dans un tas de neige. Deux paires de lapti gelés et l’angle d’une bière recouverte d’une rogoja font saillie dans l’humble charrette. La vieille, les mains dans des gants grossiers, est descendue pour faire marcher le cheval. Elle a des glaçons sur ses cils, à cause de la gelée probablement.
La pensée agile du poète se hâte de devancer la vieille : Enveloppée de neige comme d’un suaire, je sais, dans le village, une petite izba. Dans la première pièce il y a un veau et, sur un banc, près de la fenêtre, un mort. Les enfants, étourdis, sont à leurs jeux. Une femme sanglote silencieusement. En cousant, d’une aiguille exercée, des morceaux de toile pour faire un linceul, elle pleure, et, comme la pluie lente d’un temps brumeux, ses larmes tombent silencieusement.
Il y a trois grands malheurs : épouser une esclave, être mère d’esclaves, se soumettre à un esclave jusqu’à la tombe, et les trois malheurs pèsent sur la femme de la terre russe.
Les siècles ont passé, tout s’efforce vers le bonheur, tout a changé plus d’une fois dans le monde. Dieu n’a oublié qu’une seule destinée : la triste destinée de la paysanne, et, il faut en convenir, le type de la belle et puissante Slave s’abâtardit ; victime des caprices du sort, tu as souffert sans bruit, en secret, et tu n’as laissé ni entendre tes plaintes ni voir ta lutte sanglante. Mais à moi tu diras tout, mon amie ! Nous nous connaissons depuis l’enfance. Tu es l’incarnation de la peur, tu es l’âme éternellement dolente. Celui-là n’a pas de cœur dans la poitrine qui n’a pas versé de larmes sur ton sort.
Cependant, cette histoire de la paysanne, je l’ai commencée pour prouver qu’on peut le trouver, aujourd’hui encore, ce type de la grande Slave.
Il y a dans les villages russes des femmes aux graves et tranquilles visages, avec la grâce de la force dans leurs gestes aisés, avec le port et le regard d’une tsaritza. Un aveugle seul pourrait ne pas les voir, et ceux qui ont des yeux disent d’elles : « Elles passent, tu croirais des astres, et chacun de leurs regards vaut un rouble ». Elles foulent le même chemin que suit le peuple tout entier, mais la boue de leur humble condition semble les avoir respectées. Elle fleurit, la belle, pour étonner le monde ; rose, svelte, de haute taille, belle quel que soit son vêtement, adroite en tout genre de travail. Elle endure le froid et la faim, toujours patiente, toujours égale... Je l’ai vue souvent faucher et chaque coup de faux emporte une meule ! Son foulard a glissé sur l’oreille ; on craint toujours que les nattes se défassent. Un gaillard, en passant, les a soulevées, le mauvais plaisant ! Et les lourdes nattes blondes sont tombées sur la poitrine brunie. Elles se dénouent jusque sur les pieds nus et aveuglent la paysanne. Elle les écarte à deux mains et regarde, d’un air courroucé, le garçon. Le visage est majestueux comme une figure peinte, tout embrassé de confusion et de colère.
Durant la semaine, elle n’aime pas à paresser. Mais vous ne la reconnaîtriez pas quand un sourire de joie a effacé sur son visage le sceau de la peine. Un rire franc comme le sien, des chansons, des danses comme les siennes, cela ne se vend pour or ni pour argent. C’est la joie ! disent d’elle, entre eux, les moujiks.
Le petit cheval s’est empêtré dans un tas de neige. Deux paires de lapti gelés et l’angle d’une bière recouverte d’une rogoja font saillie dans l’humble charrette. La vieille, les mains dans des gants grossiers, est descendue pour faire marcher le cheval. Elle a des glaçons sur ses cils, à cause de la gelée probablement.
La pensée agile du poète se hâte de devancer la vieille : Enveloppée de neige comme d’un suaire, je sais, dans le village, une petite izba. Dans la première pièce il y a un veau et, sur un banc, près de la fenêtre, un mort. Les enfants, étourdis, sont à leurs jeux. Une femme sanglote silencieusement. En cousant, d’une aiguille exercée, des morceaux de toile pour faire un linceul, elle pleure, et, comme la pluie lente d’un temps brumeux, ses larmes tombent silencieusement.
Il y a trois grands malheurs : épouser une esclave, être mère d’esclaves, se soumettre à un esclave jusqu’à la tombe, et les trois malheurs pèsent sur la femme de la terre russe.
Les siècles ont passé, tout s’efforce vers le bonheur, tout a changé plus d’une fois dans le monde. Dieu n’a oublié qu’une seule destinée : la triste destinée de la paysanne, et, il faut en convenir, le type de la belle et puissante Slave s’abâtardit ; victime des caprices du sort, tu as souffert sans bruit, en secret, et tu n’as laissé ni entendre tes plaintes ni voir ta lutte sanglante. Mais à moi tu diras tout, mon amie ! Nous nous connaissons depuis l’enfance. Tu es l’incarnation de la peur, tu es l’âme éternellement dolente. Celui-là n’a pas de cœur dans la poitrine qui n’a pas versé de larmes sur ton sort.
Cependant, cette histoire de la paysanne, je l’ai commencée pour prouver qu’on peut le trouver, aujourd’hui encore, ce type de la grande Slave.
Il y a dans les villages russes des femmes aux graves et tranquilles visages, avec la grâce de la force dans leurs gestes aisés, avec le port et le regard d’une tsaritza. Un aveugle seul pourrait ne pas les voir, et ceux qui ont des yeux disent d’elles : « Elles passent, tu croirais des astres, et chacun de leurs regards vaut un rouble ». Elles foulent le même chemin que suit le peuple tout entier, mais la boue de leur humble condition semble les avoir respectées. Elle fleurit, la belle, pour étonner le monde ; rose, svelte, de haute taille, belle quel que soit son vêtement, adroite en tout genre de travail. Elle endure le froid et la faim, toujours patiente, toujours égale... Je l’ai vue souvent faucher et chaque coup de faux emporte une meule ! Son foulard a glissé sur l’oreille ; on craint toujours que les nattes se défassent. Un gaillard, en passant, les a soulevées, le mauvais plaisant ! Et les lourdes nattes blondes sont tombées sur la poitrine brunie. Elles se dénouent jusque sur les pieds nus et aveuglent la paysanne. Elle les écarte à deux mains et regarde, d’un air courroucé, le garçon. Le visage est majestueux comme une figure peinte, tout embrassé de confusion et de colère.
Durant la semaine, elle n’aime pas à paresser. Mais vous ne la reconnaîtriez pas quand un sourire de joie a effacé sur son visage le sceau de la peine. Un rire franc comme le sien, des chansons, des danses comme les siennes, cela ne se vend pour or ni pour argent. C’est la joie ! disent d’elle, entre eux, les moujiks.
Il faut que je parle de ce Nekrassov
On n'ira pas jusqu'à dire que c'est lui en tant que critique et éditeur qui faisait et défaisait la renommée des grands écrivains russes du 19e siècle sur la place de St Pétersbourg, mais c'est tout de même lui qui a déniché Les Pauvres gens de Dostoï£vski ..
Le petit cheval s’est empêtré dans un tas de neige. Deux paires de lapti gelés et l’angle d’une bière recouverte d’une rogoja font saillie dans l’humble charrette. La vieille, les mains dans des gants grossiers, est descendue pour faire marcher le cheval. Elle a des glaçons sur ses cils, à cause de la gelée probablement.
La pensée agile du poète se hâte de devancer la vieille : Enveloppée de neige comme d’un suaire, je sais, dans le village, une petite izba. Dans la première pièce il y a un veau et, sur un banc, près de la fenêtre, un mort. Les enfants, étourdis, sont à leurs jeux. Une femme sanglote silencieusement. En cousant, d’une aiguille exercée, des morceaux de toile pour faire un linceul, elle pleure, et, comme la pluie lente d’un temps brumeux, ses larmes tombent silencieusement.
Il y a trois grands malheurs : épouser une esclave, être mère d’esclaves, se soumettre à un esclave jusqu’à la tombe, et les trois malheurs pèsent sur la femme de la terre russe.
Les siècles ont passé, tout s’efforce vers le bonheur, tout a changé plus d’une fois dans le monde. Dieu n’a oublié qu’une seule destinée : la triste destinée de la paysanne, et, il faut en convenir, le type de la belle et puissante Slave s’abâtardit ; victime des caprices du sort, tu as souffert sans bruit, en secret, et tu n’as laissé ni entendre tes plaintes ni voir ta lutte sanglante. Mais à moi tu diras tout, mon amie ! Nous nous connaissons depuis l’enfance. Tu es l’incarnation de la peur, tu es l’âme éternellement dolente. Celui-là n’a pas de cœur dans la poitrine qui n’a pas versé de larmes sur ton sort.
Cependant, cette histoire de la paysanne, je l’ai commencée pour prouver qu’on peut le trouver, aujourd’hui encore, ce type de la grande Slave.
Il y a dans les villages russes des femmes aux graves et tranquilles visages, avec la grâce de la force dans leurs gestes aisés, avec le port et le regard d’une tsaritza. Un aveugle seul pourrait ne pas les voir, et ceux qui ont des yeux disent d’elles : « Elles passent, tu croirais des astres, et chacun de leurs regards vaut un rouble ». Elles foulent le même chemin que suit le peuple tout entier, mais la boue de leur humble condition semble les avoir respectées. Elle fleurit, la belle, pour étonner le monde ; rose, svelte, de haute taille, belle quel que soit son vêtement, adroite en tout genre de travail. Elle endure le froid et la faim, toujours patiente, toujours égale... Je l’ai vue souvent faucher et chaque coup de faux emporte une meule ! Son foulard a glissé sur l’oreille ; on craint toujours que les nattes se défassent. Un gaillard, en passant, les a soulevées, le mauvais plaisant ! Et les lourdes nattes blondes sont tombées sur la poitrine brunie. Elles se dénouent jusque sur les pieds nus et aveuglent la paysanne. Elle les écarte à deux mains et regarde, d’un air courroucé, le garçon. Le visage est majestueux comme une figure peinte, tout embrassé de confusion et de colère.
Durant la semaine, elle n’aime pas à paresser. Mais vous ne la reconnaîtriez pas quand un sourire de joie a effacé sur son visage le sceau de la peine. Un rire franc comme le sien, des chansons, des danses comme les siennes, cela ne se vend pour or ni pour argent. C’est la joie ! disent d’elle, entre eux, les moujiks.
« Do, l'enfant, do!
Une heureuse nouvelle s'est répandue dans la province,
Ton père, coupable de tant de méfaits, vient enfin
D'être mis en jugement.
Mais ton père, coquin fieffé, saura se tirer d'affaire.
Dors, vaurien, pendant que tu es honnête.
Do, l'enfant, do ! »
Le petit cheval s’est empêtré dans un tas de neige. Deux paires de lapti gelés et l’angle d’une bière recouverte d’une rogoja font saillie dans l’humble charrette. La vieille, les mains dans des gants grossiers, est descendue pour faire marcher le cheval. Elle a des glaçons sur ses cils, à cause de la gelée probablement.
La pensée agile du poète se hâte de devancer la vieille : Enveloppée de neige comme d’un suaire, je sais, dans le village, une petite izba. Dans la première pièce il y a un veau et, sur un banc, près de la fenêtre, un mort. Les enfants, étourdis, sont à leurs jeux. Une femme sanglote silencieusement. En cousant, d’une aiguille exercée, des morceaux de toile pour faire un linceul, elle pleure, et, comme la pluie lente d’un temps brumeux, ses larmes tombent silencieusement.
Il y a trois grands malheurs : épouser une esclave, être mère d’esclaves, se soumettre à un esclave jusqu’à la tombe, et les trois malheurs pèsent sur la femme de la terre russe.
Les siècles ont passé, tout s’efforce vers le bonheur, tout a changé plus d’une fois dans le monde. Dieu n’a oublié qu’une seule destinée : la triste destinée de la paysanne, et, il faut en convenir, le type de la belle et puissante Slave s’abâtardit ; victime des caprices du sort, tu as souffert sans bruit, en secret, et tu n’as laissé ni entendre tes plaintes ni voir ta lutte sanglante. Mais à moi tu diras tout, mon amie ! Nous nous connaissons depuis l’enfance. Tu es l’incarnation de la peur, tu es l’âme éternellement dolente. Celui-là n’a pas de cœur dans la poitrine qui n’a pas versé de larmes sur ton sort.
Cependant, cette histoire de la paysanne, je l’ai commencée pour prouver qu’on peut le trouver, aujourd’hui encore, ce type de la grande Slave.
Il y a dans les villages russes des femmes aux graves et tranquilles visages, avec la grâce de la force dans leurs gestes aisés, avec le port et le regard d’une tsaritza. Un aveugle seul pourrait ne pas les voir, et ceux qui ont des yeux disent d’elles : « Elles passent, tu croirais des astres, et chacun de leurs regards vaut un rouble ». Elles foulent le même chemin que suit le peuple tout entier, mais la boue de leur humble condition semble les avoir respectées. Elle fleurit, la belle, pour étonner le monde ; rose, svelte, de haute taille, belle quel que soit son vêtement, adroite en tout genre de travail. Elle endure le froid et la faim, toujours patiente, toujours égale... Je l’ai vue souvent faucher et chaque coup de faux emporte une meule ! Son foulard a glissé sur l’oreille ; on craint toujours que les nattes se défassent. Un gaillard, en passant, les a soulevées, le mauvais plaisant ! Et les lourdes nattes blondes sont tombées sur la poitrine brunie. Elles se dénouent jusque sur les pieds nus et aveuglent la paysanne. Elle les écarte à deux mains et regarde, d’un air courroucé, le garçon. Le visage est majestueux comme une figure peinte, tout embrassé de confusion et de colère.
Durant la semaine, elle n’aime pas à paresser. Mais vous ne la reconnaîtriez pas quand un sourire de joie a effacé sur son visage le sceau de la peine. Un rire franc comme le sien, des chansons, des danses comme les siennes, cela ne se vend pour or ni pour argent. C’est la joie ! disent d’elle, entre eux, les moujiks.
Le petit cheval s’est empêtré dans un tas de neige. Deux paires de lapti gelés et l’angle d’une bière recouverte d’une rogoja font saillie dans l’humble charrette. La vieille, les mains dans des gants grossiers, est descendue pour faire marcher le cheval. Elle a des glaçons sur ses cils, à cause de la gelée probablement.
La pensée agile du poète se hâte de devancer la vieille : Enveloppée de neige comme d’un suaire, je sais, dans le village, une petite izba. Dans la première pièce il y a un veau et, sur un banc, près de la fenêtre, un mort. Les enfants, étourdis, sont à leurs jeux. Une femme sanglote silencieusement. En cousant, d’une aiguille exercée, des morceaux de toile pour faire un linceul, elle pleure, et, comme la pluie lente d’un temps brumeux, ses larmes tombent silencieusement.
Il y a trois grands malheurs : épouser une esclave, être mère d’esclaves, se soumettre à un esclave jusqu’à la tombe, et les trois malheurs pèsent sur la femme de la terre russe.
Les siècles ont passé, tout s’efforce vers le bonheur, tout a changé plus d’une fois dans le monde. Dieu n’a oublié qu’une seule destinée : la triste destinée de la paysanne, et, il faut en convenir, le type de la belle et puissante Slave s’abâtardit ; victime des caprices du sort, tu as souffert sans bruit, en secret, et tu n’as laissé ni entendre tes plaintes ni voir ta lutte sanglante. Mais à moi tu diras tout, mon amie ! Nous nous connaissons depuis l’enfance. Tu es l’incarnation de la peur, tu es l’âme éternellement dolente. Celui-là n’a pas de cœur dans la poitrine qui n’a pas versé de larmes sur ton sort.
Cependant, cette histoire de la paysanne, je l’ai commencée pour prouver qu’on peut le trouver, aujourd’hui encore, ce type de la grande Slave.
Il y a dans les villages russes des femmes aux graves et tranquilles visages, avec la grâce de la force dans leurs gestes aisés, avec le port et le regard d’une tsaritza. Un aveugle seul pourrait ne pas les voir, et ceux qui ont des yeux disent d’elles : « Elles passent, tu croirais des astres, et chacun de leurs regards vaut un rouble ». Elles foulent le même chemin que suit le peuple tout entier, mais la boue de leur humble condition semble les avoir respectées. Elle fleurit, la belle, pour étonner le monde ; rose, svelte, de haute taille, belle quel que soit son vêtement, adroite en tout genre de travail. Elle endure le froid et la faim, toujours patiente, toujours égale... Je l’ai vue souvent faucher et chaque coup de faux emporte une meule ! Son foulard a glissé sur l’oreille ; on craint toujours que les nattes se défassent. Un gaillard, en passant, les a soulevées, le mauvais plaisant ! Et les lourdes nattes blondes sont tombées sur la poitrine brunie. Elles se dénouent jusque sur les pieds nus et aveuglent la paysanne. Elle les écarte à deux mains et regarde, d’un air courroucé, le garçon. Le visage est majestueux comme une figure peinte, tout embrassé de confusion et de colère.
Durant la semaine, elle n’aime pas à paresser. Mais vous ne la reconnaîtriez pas quand un sourire de joie a effacé sur son visage le sceau de la peine. Un rire franc comme le sien, des chansons, des danses comme les siennes, cela ne se vend pour or ni pour argent. C’est la joie ! disent d’elle, entre eux, les moujiks.
Le petit cheval s’est empêtré dans un tas de neige. Deux paires de lapti gelés et l’angle d’une bière recouverte d’une rogoja font saillie dans l’humble charrette. La vieille, les mains dans des gants grossiers, est descendue pour faire marcher le cheval. Elle a des glaçons sur ses cils, à cause de la gelée probablement.
La pensée agile du poète se hâte de devancer la vieille : Enveloppée de neige comme d’un suaire, je sais, dans le village, une petite izba. Dans la première pièce il y a un veau et, sur un banc, près de la fenêtre, un mort. Les enfants, étourdis, sont à leurs jeux. Une femme sanglote silencieusement. En cousant, d’une aiguille exercée, des morceaux de toile pour faire un linceul, elle pleure, et, comme la pluie lente d’un temps brumeux, ses larmes tombent silencieusement.
Il y a trois grands malheurs : épouser une esclave, être mère d’esclaves, se soumettre à un esclave jusqu’à la tombe, et les trois malheurs pèsent sur la femme de la terre russe.
Les siècles ont passé, tout s’efforce vers le bonheur, tout a changé plus d’une fois dans le monde. Dieu n’a oublié qu’une seule destinée : la triste destinée de la paysanne, et, il faut en convenir, le type de la belle et puissante Slave s’abâtardit ; victime des caprices du sort, tu as souffert sans bruit, en secret, et tu n’as laissé ni entendre tes plaintes ni voir ta lutte sanglante. Mais à moi tu diras tout, mon amie ! Nous nous connaissons depuis l’enfance. Tu es l’incarnation de la peur, tu es l’âme éternellement dolente. Celui-là n’a pas de cœur dans la poitrine qui n’a pas versé de larmes sur ton sort.
Cependant, cette histoire de la paysanne, je l’ai commencée pour prouver qu’on peut le trouver, aujourd’hui encore, ce type de la grande Slave.
Il y a dans les villages russes des femmes aux graves et tranquilles visages, avec la grâce de la force dans leurs gestes aisés, avec le port et le regard d’une tsaritza. Un aveugle seul pourrait ne pas les voir, et ceux qui ont des yeux disent d’elles : « Elles passent, tu croirais des astres, et chacun de leurs regards vaut un rouble ». Elles foulent le même chemin que suit le peuple tout entier, mais la boue de leur humble condition semble les avoir respectées. Elle fleurit, la belle, pour étonner le monde ; rose, svelte, de haute taille, belle quel que soit son vêtement, adroite en tout genre de travail. Elle endure le froid et la faim, toujours patiente, toujours égale... Je l’ai vue souvent faucher et chaque coup de faux emporte une meule ! Son foulard a glissé sur l’oreille ; on craint toujours que les nattes se défassent. Un gaillard, en passant, les a soulevées, le mauvais plaisant ! Et les lourdes nattes blondes sont tombées sur la poitrine brunie. Elles se dénouent jusque sur les pieds nus et aveuglent la paysanne. Elle les écarte à deux mains et regarde, d’un air courroucé, le garçon. Le visage est majestueux comme une figure peinte, tout embrassé de confusion et de colère.
Durant la semaine, elle n’aime pas à paresser. Mais vous ne la reconnaîtriez pas quand un sourire de joie a effacé sur son visage le sceau de la peine. Un rire franc comme le sien, des chansons, des danses comme les siennes, cela ne se vend pour or ni pour argent. C’est la joie ! disent d’elle, entre eux, les moujiks.