Entretien avec Jean-Charles Pichon
Il conviendrait peut-être de se demander si l’information rend compte de tout le réel, ou si la soumission de l’observateur à la flèche du temps passé-avenir n’entraîne pas pour lui, nécessairement, une vision entropique de l’univers ; c’est-à-dire si le coupable est Dieu, ou s’il n’est pas la science rationnelle, comparable à l’enfant qui brise tout ce qu’il touche et dit : « ce n’est pas moi ! »
Pour Jung, il existe des forces agissant en quelque sorte à angle droit par rapport au temps. Des événements, qui n’ont entre eux aucun rapport de cause à effet, apparaissent de manière synchrone, comme le surgissement inattendu et nécessaire de signes. […] La synchronicité jungienne déborde évidemment le cadre de la science qui ne connaît que des relations causales.
Puis, le Froid vint –ou revint ; les glaces envahirent les lieux habités ; avec une telle rapidité, nous disent les textes iraniens, que les plus véloces des Aryas furent saisis en pleine course. Le mammouth n’eut pas le temps de digérer l’herbe qu’il dévorait : nous la retrouvons, intacte et fraîche, dans l’estomac de l’animal pétrifié dans sa prison de glace.
A cinq ans, on prendra l’enfant, on commencera de le réduire ; à seize ans –ou vingt ans, ou trente- on pourra le lâcher dans le monde, soit arrêté dans son évolution normale, s’il était lent, soit détruit ou brisé, si son exigence s’était révélée plus forte que les techniques scolaires.
Ce bref passage initiatique de l’enfance à la maturité, que nos ancêtres –et les « sauvages »- situaient dans la quinzième année, n’aura-t-il pas fallu le prolonger pendant le quart d’une vie, pour prendre tout le temps de détruire la Personne et son origine même ?
Il se découvre ainsi que, tout comme les prêtres des Eglises constituées, les sorciers, les medecine-men ou les chamans ont bien pour principale fonction de maintenir en éveil la mémoire des traditions mortes ou sommeillantes, afin qu’elles puissent renaître quand l’heure en sera venue. Mais renaîtront-elles jamais semblables à ce qu’elles furent, il y a six mille ou huit mille ans ?
Ainsi, la plus dure bataille, ce ne fut pas contre le monde que l’auteur dut la livrer ; mais ce fut le dévoilement progressif des mensonges, des faux semblants, des masques dont il s’était couvert ; puis, ce fut la découverte des mythes et croyances dégénérés dont était constitué son Moi. En ce temps-là encore il ne distinguait pas le Moi référentiel de la Personne. Il se crut « fait de vide » et renonça à vouloir.
Par cet ultime piège, nos sociétés s’emparent de ceux qui avaient su éviter tous les autres. « Si je ne suis rien, pourquoi combattre –et comment ? Pourquoi ne pas accorder le peu qu’on me demande, ne serait-ce qu’un faux semblant, et taire mes angoisses ? Si je ne suis rien, que me prendra la mort ? Pourquoi ne pas admettre que le Passé me pousse et que le Néant me guette, comme on me dit que cela est ? »
Mais il faut croire qu’au cœur de la pire lâcheté demeure (dans l’âme ou dans l’esprit) une évidence muette et brûlante comme un soleil. Cette voix silencieuse, un jour, s’exprima. Elle disait : « La vie t’a été donnée. » Et cela voulait dire : « Tu n’es pas à l’origine de ta propre existence ; tu en ignores les fins. Tu ne l’as pas créée et tu es incapable de la prolonger une heure, une seconde, car tu ne sais même pas de quoi elle est faite. Tu ne dois donc pas craindre ; tu ne peux qu’espérer. »
Pendant longtemps, cette multiplication en quatre siècles –de douze tributs à 600 000 individus- a été reçue par l’historien rationaliste comme une invraisemblance et une stupidité. Il n’en va plus de même aujourd’hui, où l’on admet que les 50 millions de Français de 1970 sont tous issus de 25 000 familles de 1670.
Le mépris donne un support à la violence : la symbolique du Chien naquit.
« On n’arrête pas le Progrès, disent-ils, sachant maintenant qu’ils disent : on n’empêche pas la catastrophe, on ne peut s’interdire de polluer l’atmosphère, de contaminer les fleuves et d’appauvrir le sol, de consommer de l’énergie qu’on ne recrée jamais, de laisser le développement démographique atteindre le seuil redoutable des cinq milliards d’individus, condamnés à l’avance aux famines, aux massacres raciaux, à la torture légale ou, dans le meilleur des cas, à la destruction sans souffrance de la prochaine guerre atomique.
Un mythologue ne croit pas à cette fatalité. Il sait, par le message en clair des millénaires, que la raison humaine n’est pas le seul facteur en cause. Des structures, des Idées, des Anges, des Noms de Dieu, des Tribus, des Astres, des Nombres, des Couleurs, des Notes de musique, des Principes, des Personnes –ou Dieu sait quoi !- apparaissent ou disparaissent à des époques déterminées, qui n’interviennent pas à proprement parler dans les affaires humaines, mais dont la présence ou l’absence ne peuvent pas ne pas influencer les hommes, comme les influencent effectivement les nombres, les couleurs, les sons, les principes, les idées, les personnalités entre autres.
[…] La tradition de l’Hellade et la tradition celtique […] nomment la Vierge « hyperboréenne » : celle qui naquit et qui vécut avant les glaciations.
[…] L’un des caractères constants de la divinité sera la continence, en même temps que la prévoyance ou la préservation. Dans L’homme et les dieux, suggérant l’idée que la Vierge pût être la divinité première des glaciations, je notais que cette continence et cette préservation nous expliqueraient l’étonnant phénomène de la survie de l’homo sapiens pendant les millénaires où dura le fléau.
[…] Dans cette hypothèse, élevée par les peuples au-dessus de tous les dieux, la Vierge fût devenue, en effet, la Première ; et ses servants –ou ses servantes eussent exercé sur tous la tyrannie la plus cruelle en même temps que la plus nécessaire. L’exigence de ne pas accroître sans limite la population des grottes n’aurait-elle pu conduire les prêtres à sacrifier l’enfant dès sa naissance, une fois atteint le nombre prévu ? Sinon à des rigueurs plus décisives ?