Rien de moins philosophique que la confusion des degrés de valeur avec la dyade du grand et du petit. Nulle raison pour qu’un grand corps céleste, galaxie ou système stellaire, sorte de Caliban sidéral, vaille mieux que tel Ariel infime, telle petite idée blottie aux feuillets d’un livre, telle motte de terre pétrie en statuette. Il n’est pas dit que le grain de sable ne contienne pas, dans son abîme, quelque atome habité plus précieusement que telle planète. Un seul acte de charité, œuvre d’un instant dans une âme humble, peut valoir mieux que les vastes actions, aveugles d’un grand corps social. Les sommets moraux de l’existence n’ont rien à voir avec les dimensions spatiales de l’être. (p. 171)
L'acteur prostitue son humanité en faisant de sa personne l'instrument d'un autre être .
Et n'est pas vraiment artiste celui qui n'a pas deviné qu'on pouvait, rien qu'en faisant chanter à nouveau ces couleurs ou chatoyer ces sons, dire les plus intimes secrets de l'âme ou susciter tout un univers, meilleur ou plus profond, plus intense ou plus noble que le monde banal et quotidien. [p.76]
Qu'y a-t-il de commun entre une cathédrale et une symphonie, un tableau et une amphore, un film et un poème ? Question passionnante, à la condition qu'on soit fermement résolu à ne pas se payer de mots, à n'admettre que, par exemple, les analogies structurales positivement observables et qu'on puisse noter, écrire, exprimer dans un langage rigoureux. La recherche n'est intéressantes qu'à condition de bannir et de s'interdire rigoureusement les vagues métaphores, les analyses confuses qu'on évoque en transposant arbitrairement dans un art le langage de l'autre (...). On sent bien la difficulté qu'il y a à être rigoureux dans un domaine qui peut paraître aérien et subtil. On sent aussi que cette rigueur est de rigueur si on veut que la recherche soit utile et féconde. [p.7 - 8]
L'acteur prostitue son humanité en faisant de sa personne l'instrument d'un autre être.
La Vierge aux rochers ou les Pèlerins d'Emmaüs, la cathédrale de Reims ou les tombeaux des Médicis, la Symphonie avec cœur ou l'Enchantement du Vendredi Saint ne sont pas seulement des groupes de couleurs sur un panneau, des essaims de notes faisant vibrer l'air, ou des pierres entassées et sculptées. Chacune de ces œuvres est aussi tout un monde, avec ses dimensions spatiales, temporelles, et aussi ses dimensions spirituelles, avec ses occupants réels ou virtuels, inanimés ou animés, humains ou surhumains ; avec l'univers de pensées qu'il éveille et maintient éclatantes aux esprits. Et c'est un univers qui est venu ensemble à l'être, à la présence. [p.52]
On appellera ici esthétique comparée cette discipline dont la base est de confronter entre elles les œuvres, ainsi que les démarches, des différents arts (...). [p.26]
L'art est long et la vie est courte. Quel artiste, quel créateur ne connaît pas ces drames intérieurs (qui justifient la noblesse de l'art et sa valeur morale) : le choix entre les possibles, entre les diverses œuvres qui se proposent, qui se pressent aux portes de l'être, ces portes que le créateur tient à son gré ouvertes ou fermées pour elles ? [p.298]
Rien de plus évident que l'existence d'une sorte de parenté entre les arts. Peintres, sculpteurs, musiciens, poètes, sont lévites au même temple. Ils servent, sinon le même dieu, du moins des divinités congénères. Sororité des Muses ; compagnonnage des artistes, qu'ils manient l'ébauchoir ou le stylo, le pinceau ou l'archet ; unité du génie en tous genres ; autant de thèmes à développement facile.
(...)
Cette grandeur de portée, pour tout esprit tant soit peu philosophique, apparaît d'emblée. Un philosophe digne de ce nom ne peut qu'attacher une immense importance à l'art. Celle même de la science peut-être plus grande ? L'art, c'est parmi les pouvoirs spirituels de l'homme celui qui a construit tout un univers peuplé de créatures, les unes immatérielles -symphonies, préludes, nocturnes; sonnets, ballades, épopées- les autres, visibles sous le soleil ou la lune, temples, cathédrales, aqueducs, obélisques, sphinx, statues (...). [p.20 - 21]
Tout se passe comme si ces œuvres de la nature avaient le double principe d'être et de représenter quelque chose. [p.59]