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Stéroïdes pour comprendre la philosophie

Une bonne vulgarisation, au contenu atypique mais beaucoup trop inégal et peu philosophique

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Fort de son succès éditorial avec son Petit cours d'autodéfense intellectuelle, Normand Baillargeon a décidé de nous proposer un livre de vulgarisation de la philosophie, considérant avoir, selon lui, à plus de 50 ans, une (très) bonne maîtrise des notions, concepts et théories philosophiques.



En quoi consiste tout d'abord l'ouvrage ? L'approche est ici relativement originale, la philosophie étant présentée sous des « thèmes », au nombre de 6 : la raison, la morale, l'esprit, la religion, la politique et l'art. L'auteur part de grandes questions générales et introduit d'une manière chronologique les apports des penseurs. Exemple : les 3 premiers chapitres traiteront de la raison, avec successivement les concepts de Platon, Descartes, Locke, Berkeley, Hume et Kant (rationalisme, puis empirisme, puis idéalisme transcendantal). C'est donc une approche très théorique qui est ici proposée.



L'exercice est-il réussi ? Comprend-t-on mieux la philosophie après avoir lu ce livre, cerne-t-on ses enjeux ? Je suis triste de le dire mais la mission n'est pas remplie efficacement.



Commençons néanmoins par ce qui est réussi, à savoir, l'ensemble des qualités aperçues dans les ouvrages précédents de N. Baillargeon : clarté du propos, pédagogie, structuration de la pensée, etc. La présentation des théories est ici objective, l'auteur présentant systématiquement les critiques et objections faites par d'autres penseurs. L'aspect très théorique et chronologique permet de voir la continuité des débats relatifs aux concepts. On a alors une bonne image mentale de telle ou telle notion, on sait immédiatement qui « convoquer » à la table des discussions. L'ouvrage donne aussi très envie de lire les auteurs dans le texte, et là où auparavant on aurait eu une image poussiéreuse et intimidante de tel livre, on est désormais plus au fait de son contenu et on se dit intérieurement qu'on est prêt à le lire. Enfin, signalons un résumé en fin de chaque chapitre, sous la forme des « 10 points à retenir » ; un appareil de notes élémentaire ainsi que des encadrés permettant de respirer un peu (vocabulaire, biographies, anecdotes, etc.). Ultime bonus, le chapitre 3, prolongation et achèvement des 2 premiers, vulgarise brillamment les enjeux de Kant dans sa Critique de la raison pure ; n'importe quel lecteur de bonne volonté aura alors en tête un aperçu de base des travaux kantiens.



L'ouvrage aurait été une réussite s'il n'avait pas été entaché de nombreux défauts, certains rédhibitoires selon moi. Tout d'abord, le format des chapitres est un compromis maladroit et bâtard entre une simple introduction et une explication exhaustive ; certains passages montrent clairement que l'auteur a dû couper du texte. En somme, on reste presque constamment sur sa faim. Principal reproche : ce n'est pas un livre de philosophie, tourné vers la réflexion philosophique. Ici, tout est présenté de façon sèche, sans réellement éveiller en nous de flamme, d'étonnement (pour reprendre le terme de Jeanne Hersch). De plus, les chapitres sont beaucoup trop inégaux : certains sont très éloignés de la philosophie, à la limite du hors-sujet (ch. sur l'esprit), stériles et peu féconds (ch. sur la morale) ou encore simplement mal expliqué (la théorie esthétique hégélienne est incompréhensible). Je reproche surtout au livre de donner l'impression de passer outre, quelques fois, des « incontournables » académiques pour se concentrer sur certains points précis, que l'auteur maitrise sûrement mieux (ex : Foucault et le pouvoir). En somme, au lieu de se voir présenter une vue synoptique, générale, on assiste à une sélection personnelle, limitée à 3-4 auteurs. Sans compter que N. Baillargeon se jette immanquablement dans l'écueil de l'aveuglement idéologique, partisan et naïf, lorsqu'il s'aventure à présenter les grandes idéologies politiques. Pêle-mêle, on y lit une vision idéalisée de la gauche, humaniste, égalitaire, juste, tolérante (etc.), là où la droite serait passéiste, conservatrice, autoritariste (voire totalitariste), exploitant le prolétaire sans défense (etc.). Pour finir, on relèvera quelques approximations et erreurs d'analyse (la mort de la mère de Rousseau n'aurait pas de lien avec sa naissance ou encore la transition d'un état de nature à la propriété ne serait pas expliquée ' c'est la fin de l'état d'abondance agricole qui le cause, et ceci est in extenso dans le texte ; ou encore une analyse fausse des Ready Made), un recours presque maladif à Chomsky, que l'auteur tente de caser à chaque chapitre. Enfin, sur un plan plus formel, on regrettera l'absence de bibliographie, quelques tics « franglais » (au total, essentiellement) ou québécois (ritournelle), des ouvrages au nom anglais alors qu'ils ont été traduits depuis longtemps, et un renvoi - trop imprécis à ce propos - à de trop nombreuses sources Internet, peu pérennes et ne donnant pas une image très sérieuse (sous couvert d'une démocratisation du savoir).



En conclusion, je ne recommande cet ouvrage que pour la vulgarisation réussie de Kant et pour certains chapitres. Les qualités évoquées sont là mais elles ne suffisent pas à en cacher les défauts.
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