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    MalauryMoyen le 02 février 2022
    Bonjour à tous !

    On s’éloigne un peu des jours de fêtes pour voyager vers d’autres horizons avec le thème de ce mois-ci : “Frontière”. Entre le bien et le mal, la vie et la mort, la quatrième et la cinquième dimension et autres univers parallèles, ce qui sépare deux pays ou tout simplement la clôture entre votre jardin et celui du voisin, ce mot à de multiples lectures, libre à vous de l’interpréter comme bon vous semble. Franchirez-vous le pas ? Nous attendons avec impatience vos textes de février !

    La taille et la forme de votre contribution sont libres, alors faites vous plaisir ! Toutefois, nous ne prendrons en compte pour le défi que le premier texte que vous posterez ici, par souci d’équité. Comme chaque mois, le gagnant remportera un livre de la bibliothèque Babelio et vous avez jusqu’au 28 février, pour nous soumettre votre texte en répondant ci-dessous.


    Bonne inspiration à tous, et surtout bonnes lectures ! 



    mfrance le 02 février 2022
    Bonjour MalauryMoyen   eh bien si nous avons jusqu'au 31 février pour franchir la frontière que nous aurons choisie...... nous avons quasi l'éternité devant nous  ! merci pour ce délai

    Quant à moi, je tâcherai de poster mon éventuelle contribution avant le 28 février
    MalauryMoyen le 02 février 2022

    Oups, en effet mfrance  j'aurais pu attendre très longtemps avant que le 31 février pointe le bout de son nez ! Merci, pour la remarque, j'ai bien changé la date. 

    Verteflamme le 02 février 2022
    L'effrontée 

    La jeune effrontée, hier 
    Riait d'un air, d'un ton fier
    Trillait de ronds sons ; du lierre 
    Poussait autour des pierres. 

    Jouant avec ces mystères 
    Cessant enfin de se taire 
    Elle nargue et clame et vert 
    De rage les sorcières ! 

    On ne voyait pas son père
    Ni sa mère. Si légère
    Elle sait qu'el'va déplaire 
    Tant pis, comm'dit son frère !

    Tirant une langue amère 
    Aux arm’, aux murs, à la Terre
    Elle sait, c'est fou, trop chère 
    Est sa vie pour le faire !

    Elle est à peine pubère 
    Qu'au milieu de son artère 
    La balle creusa sévère, 
    Sévèrement creusèrent. 

    Narguillère et héritière 
    De désespérés, elle erre
    Devant cette frontière 
    Avant de tomber, fière. 

    Juste avant, la téméraire 
    A dit : l'on me tuera, mais 
    Par ma rage, je pass'rai 
    De mes dents la frontière 


    (Ce poème en heptasyllabe puis hexasyllabe ne traite pas d'une frontière en particulier, mais des frontières qu'il est très dangereux de passer sous peine de mort. Il est question d'une jeune femme qui joue avec la mort en narguant la police ou l'armée, et se faisant froidement tuer. A défaut de passer la frontière physique, ses paroles moqueuses et désespérées passent la frontière de sa bouche. )
    charlene_bzh le 03 février 2022
    Bonjour à tous, voici ma participation pour ce mois-ci.


    Doucement, tout doucement, à pas feutré, je m’avance. Il fait noir tout autour de moi. Seul le piano est éclairé. Il trône là, ouvert, prêt pour moi. Il m’attend. Imposant avec ses quelque 500 kilos. Je m’approche de lui, le frôle comme pour le saluer. Et puis je m'assois sur le banc en face de lui. Le clavier au bout de mes doigts. 

    Mes doigts s’approchent et effleurent les touches blanches et noires. Je m’arrête, les mains en suspens. Je prends une profonde inspiration. J’expire lentement et un sol sonore résonne. Un sol profond. Un sol grave. Il pénètre dans mon corps. Il s’inscrit en moi. Un sol, encore un, tout aussi sombre qui me martèle. Mes oreilles bourdonnent. 

    Mes doigts s’agitent. Incontrôlables et incontrôlés. D’un coup d’un seul. Ils semblent savoir ce qu’ils font. Je les regarde se promener à leur guise sur le clavier. Les notes s'enchaînent sans ralentir. Le rythme va crescendo. Mes doigts sont des marteaux scandant leur mélodie. Je suis comme habitée, en apnée. 

    Cette musique, je la reconnais. Elle m’enveloppe. Elle m’emporte. J’hésite entre rêve et cauchemar. Je vois la partition noircie de notes, d'annotations lisibles et compréhensibles seulement par moi. Elles sont le souvenir d’heures passées le cahier devant les yeux, de larmes de rage et de désespoir, de joie et d’euphorie. 

    Le tempo décroît de nouveau. Mes doigts se font plus caressant, plus souple. Je respire de nouveau. L’air arrive à entrer dans mes poumons. Mais l’effort est intense et douloureux. 

    La musique se met à swinguer. La mélodie est plus douce et mélodieuse. Elle m’enlève loin. Loin de cette pièce noire, loin de ce piano, loin de ces mains qui se jouaient de moi. La tranquillité, la paix m'habite soudain. 

    Je suis ailleurs, je ne suis plus moi. Je laisse le rythme s’installer. Mon corps et mon esprit font corps avec cet instrument. Nous ne formons qu’un. Ce n’est plus moi ici, dans cette salle, sur ce banc, face à ce clavier. Je n’existe plus, je ne réfléchis plus, je ne pense plus. Je suis cette sonate. Elle se déroule sous mes doigts. 

    Je vis, je vibre, je respire au rythme des notes que font chanter mes doigts, au rythme de ce géant qui prend vie face à moi. Face à lui, je ne fais pas le poids. Je le laisse m’envahir, m’habiter jusqu’à la note finale. 

    Je suis en sueur, essoufflée. Mon corps n’est que chiffon.

    Les applaudissements éclatent. La salle se lève et se soulève. Est-ce pour moi ? Je suis une imposture. Cette sonate je ne l’ai pas joué, je l’ai vécu. 

    Et si tout cela n’était finalement qu'un rêve ?
    Eden2020 le 04 février 2022
    Bonjour, voici ma contribution sur le thème tristement d'actualité du consentement . Ressenti d'une victime ! (Évidemment histoire fictive...) "bonne" lecture !

    C’est quoi l’amour ?




    7h : le réveil sonne.

    7h05 : rappel, le réveil sonne.




    J’ attrape le téléphone d’un geste machinal, je suis exténuée. La lumière de l’écran éblouit mes yeux fatigués, faute au rendez-vous manqué avec Morphée. Je les ferme un instant, afin de m’habituer à la lumière. Je vois enfin se dessiner mon fond d’écran, Henry me fait son plus beau sourire et ses yeux marron pétillent de malice, rien que de voir sa frimousse me donne des papillons dans le ventre. C’est donc ça l’amour ? Je n’ai jamais rien ressenti de tel pour un garçon, enfin, je crois... Quand est-ce qu’on sait qu’on a franchi la frontière entre désir et amour ? Nous ne sommes ensemble que depuis quelques semaines, mais je sens déjà mon cœur battre à tout rompre lorsque je pense à lui. Il est si doux, si attentionné. Et puis, il est différent des autres, il ne m’aime pas que pour mon physique lui, il me considère. Prenez notre première fois ensemble, le jour de mes 17 ans d’ailleurs, Henry avait tout préparé afin que nous passions une soirée romantique : bougies parfumées, pétales de rose, champagne… C’est ce dernier qui m’a donné le courage de me lancer, malgré mes quelques réticences et hésitations. J’avoue avoir été un peu timide les premiers temps, mais contrairement à mes autres expériences, je les trouve plutôt positives ! Enfin, je crois. Je veux dire, j’ai des sentiments pour Henry et lui en a pour moi, il me l’a dit et me le prouve au quotidien avec ses attentions, ses petits cadeaux, ses caresses… Si on aime une personne, c’est plutôt naturel.




    7h10 : rappel à nouveau, le réveil sonne.

    Cette fois-ci, debout, j’ai un mal de chien à me lever, mais je me dirige silencieusement vers la salle de bain, je ne veux surtout réveiller personne. Le parquet grince sous mes pas, ce bruit me met chaque foi hors de moi ! Foutu parquet, on habite une maison du XVIIIème siècle ou quoi ? Le reflet que me renvoie le miroir ne me fait ni chaud ni froid : cernes, teint blafard, cheveux ébouriffés… Je ne supporte plus cette longue tignasse, j’ai envie de couper tout ça très court ! Est-ce que ça plairait à Henry ? On verra bien. Maman, elle, aurait voulu que je garde mes « beaux cheveux ébène que je tiens d’elle », comme elle me le disait si souvent. Mais maman n’est plus là. Une enclume pèse tout à coup sur mon cœur, je ne sais pas bien pourquoi. Après tout, je n’ai que peu de souvenirs de maman, elle est partie lorsque j’avais cinq ou six ans. Il subsiste très peu de photos d’elle à la maison, les murs étant en partie tapissés par des photos de mon père et moi : papa et moi à la plage, papa et moi mangeant des chocolats lors d’une saint-Valentin, lorsque j’avais 11 ans et que mon crush du moment m’avait proprement jetée comme une vieille chaussette. Heureusement papa avait rattrapé le coup et m’avait assuré toute la journée que j’étais sa valentine préférée. Il est un peu envahissant papa, mais il m’aime, c’est certain, il me le répète souvent. Quelques photographies tout de même avec mon frère de deux ans mon aîné, ben oui, faut bien que quelqu’un ait pris les autres photos. Mais il est du genre discret mon frère, il aime pas bien se montrer, ni en vrai, ni en photo. Il fait partie de ces êtres mystérieux cultivant un jardin secret avec une main verte étonnante. Je me demande parfois s’il m’aime mon frérot, il peut être très intrusif quand il le souhaite. Il bondit chaque fois que j’ai un nouveau petit copain, me disant que vu mon âge, je serai bien mieux en train d’étudier, qu’il faudrait que j’arrête mon petit numéro de séductrice, qu’il y a plus important que les garçons blablabla. Qu’est-ce qu’il en sait lui déjà ? Je ne suis là pour séduire personne, je plais c’est tout, j’y peux rien, aussi contraignant que celui puisse être parfois. Il ne sait pas la chance qu'il a d'être né garçon. C’est pas parce qu’il a pas de copine qu’il faut jouer les rabats joie. On ne lui connaît à ce jour ni copain, ni copine connu(e). Ou alors, bien caché(e) dans le cabanon de son jardin secret ? Qui sait ? Ah qu’est-ce qu’il m’énerve !

    Mon téléphone vibre bruyamment sur le bord de l’évier, merde, je vais réveiller tout le monde et je n’ai envie de voir personne, je suis un peu grognon. C’est Henry qui me demande si je préfère qu’on dorme chez lui ou chez moi ce week-end. Mille fois que je lui répète que chez moi, c’est impossible, mon père ferait une attaque ! Je lui réponds un peu sèchement « comme d’habitude », il devrait le savoir non ?




    « Bonjour darling ! »

    Je sursaute et lâche mon téléphone dans l’évier. Je n’ai pourtant pas entendu le parquet grincer cette fois-ci. Foutu parquet, jamais là quand on a besoin ! Papa me demande si j’ai bien dormi en me faisant une bise. Il sait très bien que j’ai du mal à dormir.

    « Je te veux à la maison ce week-end, pas de découchage. J’organise un barbecue pour l’entreprise et j’ai besoin de ton aide ici. »

    Ok, mon week-end vient de tomber à l’eau, encore. Le cœur me serre. Je sors de la salle de bain et pars m’habiller dans ma chambre.




    J’ai dû affronter la déception d’un Henry désappointé et grincheux toute la journée, il était plein d’ambitions romantiques pour notre petit week-end. Il ne comprend pas que notre modèle familial ne fonctionne pas comme le sien, il a encore ses deux parents lui. Henry peut parfois être un peu insistant, mais je sais que ça part d’un bon sentiment.




    La journée m’a épuisée, je dîne et vais me coucher directement. Je m’endors comme une souche, c’est toujours comme ça. La frontière invisible qui me sépare de l’éveil est mince, je le sens à mon sommeil agité. Je rêve que je suis au lycée quand soudain, le parquet grince.




    « Non ! » Je me réveille pantelante, mais immobile dans mon lit.




    3h. Pas de réveil, mais j’ai bien entendu le parquet grincer, il grince à nouveau. Foutu parquet ! Mon cœur bat à tout rompre, des papillons volettent frénétiquement dans mon ventre. Et dire que j’ai pris cela pour de l’amour la veille, vraiment ? La frontière est mince, je ne sais pas, je ne sais plus.

    J’entrevois une silhouette s’engouffrer dans ma chambre, glisser les doigts dans mes cheveux.

    « Je t’aime ma valentine tu le sais n’est-ce pas ? ». Je me fige d’horreur, j’essaie de penser à Henry, en vain.

    J'aime pourtant aussi cet être cruel qui me visite, mais pas comme j'aime Henry, non pas de cette façon là. Et je me demande souvent qui de ce monstre ou de moi, en premier, a traversé la frontière entre l’amour et l’effroi, mais je ne crois pas que ce soit moi.
    charlene_bzh le 04 février 2022
    Eden2020  ce texte est effroyable. Il me donne la chair de poule.
    Eden2020 le 04 février 2022
    charlene_bzh a dit :

    Eden2020  ce texte est effroyable. Il me donne la chair de poule.


    C'est le but en effet, étantdonné que cela passe par le point de vue de la victime !
    VictorhugoLH le 06 février 2022

    Bonjour, puis-je vous soumettre ceci, un sonnet en alexandrin?


    Frontière


    L'horizon est brumeux, un regard en arrière
    Sur les belles et les tristes choses passées.
    Tant de vallons franchis, de routes traversées.
    Encore quelque pas. J'arrive à la frontière.

    Pourrais-je oublier les joies et peines d'hier?
    Les peurs et les rêves de ce proche passé?
    Les rires des enfants? Les cris des trépassés?
    Je peux les entendre en franchissant la rivière.

    Nous n'étions pas riches, mais nous étions heureux.
    Alors, que fais-je donc sur ce chemin pierreux,
    Seul, loin de tous, des miens? C'est la guerre chez moi.

    La frontière est proche. Dans la nuit, nulle étoile.
    Ainsi que mon âme, les nuages larmoient.
    J'ai peur de l'inconnu, qui, là-bas, se dévoile.

    IsaE le 07 février 2022
    Verteflamme  votre texte me parle, je n'arriverait pas à le lire à voix haute (les rimes en -ère sonnent creux avec ma voix) mais le sujet est palpitant !

    charlene_bzh   j'ai entendu la musique à travers votre texte :)


    Eden2020    puissant ! j'en frissonne aussi ! (juste à la fin, " a traversé" non ?)

    Si j'ose je posterai demain, j'ai pris la frontière raison/folie vie/mort
    SarM le 08 février 2022
    Eden 2022 : très bien amené, on ne s'y attend pas du tout !
    Eden2020 le 08 février 2022
    IsaE a dit :

    Verteflamme  votre texte me parle, je n'arriverait pas à le lire à voix haute (les rimes en -ère sonnent creux avec ma voix) mais le sujet est palpitant !

    charlene_bzh   j'ai entendu la musique à travers votre texte :)


    Eden2020    puissant ! j'en frissonne aussi ! (juste à la fin, " a traversé" non ?)

    Si j'ose je posterai demain, j'ai pris la frontière raison/folie vie/mort


    Tout à fait merci d'avoir eu l'oeil ! :)
    Taenarra le 08 février 2022

    Bonjour à tous, première participation pour moi! Merci pour votre lecture! 


    Début :

    Négatif …
    Encore, toujours!
    J’ai envie de hurler et de fracasser tous les meubles, à l’image de mon cœur qui vient d’être pulvérisé, encore, toujours.

    « On recommencera! Ne t’en fais pas, ma puce, ça finira par marcher pour nous aussi! »
    Je ne sais pas qui mon mari essaye t’il le plus de convaincre… Lui ou moi ?

    A chaque essai infructueux, c’est une part de moi qui se brise.
    Alors comment lui dire ?


    Comment lui dire que je suis fatiguée que tous les couples autour de nous enfantent en claquant des doigts alors que cela s’est transformé en véritable défi pour nous? Comment lui dire que cette quête pour être mère est sûrement bien plus qu’une envie ? Comme un besoin.

    Je réfléchis, des larmes viennent perler le long de mes cils, sans que j’y prête attention. Je respire, j’essaie de calmer la tempête qui gronde en moi.
    Le visage inondé, je me demande quand cette envie est devenue nécessité ?
    Pour réconforter et réparer l’enfant en moi? Suis-je alors égoïste ?
    Comment devient-on « mère » quand la sienne n’a pas joué son rôle ? Peut-être que la vie veut me donner une leçon? Mais laquelle?

    Les frontières entre la mère que je rêve de devenir, celle que je suis déjà au fond de mes tripes et celle à qui je ne veux surtout pas ressembler me semblent floues…
    J’essuie mes joues trempées et je remets le masque. Celui qui me tient debout et me fait avancer quand à l’intérieur, il n’y a que du vide...

    On recommencera ! Encore et toujours.



    Fin


    SarM le 08 février 2022
    Taenarra : ne pas baisser les bras ! Un texte touchant.
    agirlinindia le 08 février 2022

    La frontière



    Après le passage chez le notaire, pour la succession de papa, mon frère a proposé qu’on déjeune à la Lamproie, son restaurant préféré. Le serveur nous a averti qu’il y aurait un peu d’attente. J’ai vu ça comme un signe favorable. Grégoire voulait sans doute marquer l’importance du moment quand il a levé son verre de Listrac dans un sourire solennel.

    - A la mémoire de papa. Alors, vous comptez faire quoi, cet été ?

    Adolescents, Grégoire et moi étions inséparables, mais au fil des années, notre complicité fraternelle s’étiolait, malgré les retrouvailles estivales dans le mas familial.



    J’ouvrais et refermais le bracelet métallique de ma montre, consciente de trahir ma nervosité. J’avais anticipé la peur devant le précipice et j’ai lancé du tac-au-tac :

    - Je ne serai pas à Biscarosse cet été. Les enfants n’iront pas non plus, ils ont d’autres plans.

    - ...Et Vincent ? (mon mari, ndlr), a-t-il ajouté, circonspect.

    - Je ne sais pas où Vincent sera, mais il ne sera pas avec moi.

    Voilà comment j’ai réduit à néant vingt-cinq ans de couple.

    - Il est au courant ?

    - C’est une question d’heures.

    - Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?

    Mes mains ont enfin lâché ma montre bracelet.

    - Ce mariage ne me rendait pas heureuse, tu t’en es toujours douté, et finalement, ça a changé quoi ? Ne te raconte pas de salades, Grégoire. Notre famille ne tolère pas les séparations et les divorces. Du vivant de papa, ceux qui outrepassaient cette règle s’exposaient à un bannissement. Il s’est passé pour moi la même chose que pour toi.

    J’ai perçu son regard incandescent et il m’a coupée :

    - Qu’est-ce que tu racontes, Hélène ? Tu exagères avec cette histoire de « mise au ban ».

    - Ah oui ? Et toi, tu nages encore dans le bonheur avec ta femme ?

    Son regard a plongé dans son assiette vide. Le mien a erré dans la salle de restaurant d’où émergeait un brouhaha continu de conversations et de vaisselle.



    - Pardon, Greg. Je suis allée trop loin. Je voulais te faire comprendre ce que je vivais depuis des années et je t’ai fait de la peine.

    Je m’en voulais que notre discussion ait glissé sur ce terrain. J’ai craint un instant que mon frère se lève et me laisse en plan. Il a calé son menton dans ses poings et un pli amer a remplacé son beau sourire. Le serveur qui s’approchait avec nos plats m’a soulagée.

    - Désolée. Je dois aller au bout de ce que j’ai à dire.

    Un voile humide est apparu sur les yeux de Grégoire mais il s’est vite repris.

    - Franchement, Hélène, tu aurais pu choisir un autre moment pour parler de ce sujet, de papa, de nos parents...

    - Depuis mon mariage, j’ai serré les dents pour garder leur estime. Voilà ce que ça m’a coûté. Et tu penses que je leur manque de respect ? De toute façon, je n’aurais pas pu repousser cette conversation un jour de plus.

    Il avait l’air éprouvé et ne répondait pas.

    - Tu as choisi de maintenir l’image du beau petit couple avec enfants et barbecue avec amis au bord de la piscine, pour tout un tas de raisons qui t’arrangent et que je ne juge pas. Mais tout ça ne te rend pas heureux. Je ne suis pas aveugle.

    - Arrête ça, Hélène. Après sa séparation, Henriette (notre sœur, ndlr) s’est barrée pour élever trois canards dans les Landes, elle est paumée, elle vit dans une cabane. Elle n’a rien fait de son existence. Tu l’imagines plus heureuse que nous ?

    Je sentais la colère de Grégoire. Je m’étais préparée à cette contre-offensive. J’ai répondu calmement.

    - Je n’ai pas prétendu qu’elle était heureuse. Nos parents se sont éloignés d’Henriette parce que ses choix de vie ne correspondaient pas à leurs convictions réac. Henriette a été la première à subir cet opprobre injuste.

    Grégoire a soupiré, je le sentais au bord de la reddition.

    - Et toi, comment tu as fait pour supporter toutes ces années ?



    J’ai souri. Sa main est allée vers la bouteille de Listrac et il nous a resservi, déboussolé par cette conversation qu’il n’avait pas vu venir. J’ai poursuivi.

    - Comment ? En maintenant une frontière invisible. Mais réelle.

    - De quoi tu parles?

    - D’un côté, j’ai mené ma vie officielle, celle qu’on attendait de moi, pour maintenir l’illusion de la famille unie. Pour avoir la paix. D’un autre côté, j’ai eu ce que je voulais.

    - Par exemple ?

    - Je vois régulièrement Henriette et ça ne regarde personne. Tu n’imagines pas à quel point ce lien avec une personne de sa famille la rend heureuse. On était tellement proches toi et moi. On se confiait l’un à l’autre.

    Grégoire s’est douté d’autre chose.

    - Tu as une vie cachée ?

    - J’aime l’idée d’un jardin secret. Oui. C’était ma vraie vie, celle qui correspondait à mes convictions.

    - Tu n’es pas obligée de me raconter…

    - J’aimerais qu’on retrouve notre complicité. Et que tu mènes la vie que tu mérites, celle que tu as décidé. On n’est pas des pantins. On a passé cinquante ans, Grégoire !



    J’ai contemplé un long moment les flots marron de la Garonne. Et je me suis livrée.

    - Ca s’est fait malgré moi, il y a trente ans, tout près d’ici, on était encore sur les bancs de l’université. Un de tes potes d’amphi nous avait présenté son jeune frère. Un algérien boursier, qui avait eu la chance d’intégrer la licence de droit. Tu te souviens de lui ?

    - Je m’en souviens. Karim ? Kader ?

    - C’était Kader. Nous avons eu un vrai coup de coeur, mais j’ai joué l’indifférente, j’ai résisté pendant des mois. Même à l’université, je tenais à ma réputation. Je n’ai pas osé t’en parler, mais j’en mourrais d’envie. Kader n’a pas lâché l’affaire. Mais l’Algérie, c’était encore présent dans toutes les mémoires, il ne devait pas jouer avec le feu lui non plus.

    J’ai senti Grégoire nerveux.

    - Je regrette d’avoir arrêté de fumer ! J’ai besoin d’une cigarette.

    - Kader vivait avec sa famille derrière le quartier de M. Son oncle gérait un petit hôtel, près de la gare. Le coin était mal famé. Les risques d'une liaison m’ont fait longtemps tergiverser. Puis j’ai estimé être une grande fille et notre histoire a débuté. Ni Kader ni moi n’avons jamais négligé nos études. On était trop conscient de l’enjeu.

    Grégoire ne me quittait pas des yeux, fasciné.

    - C’est à cette époque qu’Henriette a cassé ses fiançailles et les parents ont lâché leur vindicte. Egoistement, j’ai pensé qu’ils étaient assez accaparés par la situation d’Henriette pour m’oublier. Comme j’étais naïve ! Ils me surveillaient aussi et fouillaient mes affaires en douce. Ils ont trouvé la clé de l’hôtel de l’oncle de Kader dans ma sacoche.

    - Qu’est ce qui s’est passé ensuite ?, a demandé Grégoire, médusé.

    - J’ai eu droit à un grand chapitre puant de racisme et entrecoupé de paires de gifles. Humiliée, obligée de rompre, pour me marier avec Vincent, qui me courait après sans succès. En cas de refus, on me coupait les vivres. Fini les études et dehors ! J’ai rompu, la mort dans l’âme. Et la vie a continué… Heureusement, les enfants sont nés très vite, ils m’ont comblée de bonheur. Mais je pensais encore à Kader. J’ai commencé à travailler et je l’ai cherché. Nous sommes retombés dans les bras l’un de l’autre, six ans après, plus mûrs, plus conscients que jamais du danger. Il y avait cette frontière de nos vies, de nos origines, de nos familles, et toutes ces années, on s’est aimé cachés de tous, avec toute la force d’un premier amour. Parfois, on passait des mois sans avoir de nouvelles. C’était dur, mais on se retrouvait toujours. Chacun devait respecter cette frontière, c’était la condition sine qua none de notre bonheur. Je te choque ?

    - Non. Où est-ce qu’il vit ?

    - Il a longtemps travaillé dans la région de Royan, puis à Paris. Quand mes enfants ont quitté la maison, j’ai commencé à m’organiser pour le rejoindre. La famille pouvait en penser ce qu’elle voulait. J’en étais revenue de tout ça…. Et puis, Kader est mort.

    La bouche de Grégoire s’est entrouverte.

    - Cette « frontière » se prolonge au-delà. Je n’ai pas pu assister aux obsèques. Je ne faisais pas partie de la vie de Kader. Reprends ta vie en main, Grégoire. Le temps n’attend pas. J’en sais quelque chose.
    Verteflamme le 08 février 2022
    Merci IsaE, c'est un poème un peu "tongue twister" qui joue sur les sonorités : il est donc difficile à lire !
    KatiouchkaB le 08 février 2022
    Bonjour, voici ma contribution pour le défi littéraire

    L'utime combat

    La nuit, épaisse et lourde, où brillent des constellations aux noms romantiques, pèse sur les épaules de Camille.
    Les yeux agrandis par la souffrance, les mains crispées au montant du lit, elle attend l'explosion d'une nouvelle boule de douleur.
    La pieuvre s'étale, lui fouille le ventre, écrase ses poumons, colle ses membres au matelas, fait craquer ses os, bourdonne dans ses oreilles, aplatit sa gorge jusqu'à l'étouffement et l'envahit comme une flaque de sang après un coup de feu.
    Dans le grand hôpital blanc aux odeurs entêtantes on n'entend que le les hurlements affamés des nourrissons en maternité, bouillonnants de jeune vie quand celles de leurs aînés, à l'étage supérieur, s'éteint en convulsions.
    Par la fenêtre ouverte Camille perçoit les effluves du jardin exotique, enivrants, apaisants. Comme elle aimerait s'approcher de la voluptueuse verdure, laisser ses narines frémir sur les parfums du bout du monde, écouter les grillons, respirer la vie à pleines goulées. Rester encore un peu, quelques jours. Peut-être une journée de plus.
    Mais déjà elle se prépare à supporter la décharge électrique du mal qui finit de la ronger. Vaillante, elle tente de penser à autre chose pendant que ses jambes tremblent sous la poussée violente. Les larmes aux yeux, la bouche ouverte, elle essaie de se réciter une fable de La Fontaine et prie pour que le dernier vers sonne l'armistice dans son corps en miettes. Son voeu s'exauce. Elle sort de la bataille épuisée, en nage. Presque heureuse.
    Elle veut voir l'aube se lever, s'accroche de toute son âme à ses souvenirs, aux détails de sa chambre, à des petits riens qui font tout. Elle mesure la distance qui la sépare du dernier soubresaut. Elle découpe le temps qui lui reste. Elle se revoit enfant, terminant son dessert : "Dis maman, il y en aura encore pour ce soir ?". Camille se demande à combien de morceaux elle a droit aujourd'hui.
    Elle refuse de capituler. La nuit lui a toujours fait peur mais elle se sent le courage de la vaincre. Les tentacules meurtriers desserrent l'étreinte, lui laissant un peu de répit. Elle a quelques minutes avant le prochain assaut.
    Elle rassemble ses forces, se relève péniblement sur les coudes. Elle lisse sa chemise de nuit, passe la main dans ses cheveux pour les discipliner. Elle attrape le petit miroir bleu et le bâton de rouge à lèvre sur la table de chevet. Elle pose d'une main lasse un peu de couleur sur sa bouche. Satisfaite du résultat elle se sourit, ferme les yeux. Appuyant sa tête blonde contre les oreillers elle laisse glisser les objets de séduction sur le couvre-lit. Elle ne veut pas offrir un visage blafard à la camarde. "Bien fait, ma vieille, tu ne m'auras pas tout pris".
    La résistance opposée à la douleur l'a empêchée de voir passer le temps. Les étoiles se sont évanouies. Le gris pâle du petit matin délave par plaques l'encre noire des heures de lutte.
    Camille s'autorise alors le repos et sombre dans une torpeur bienfaisante. Elle n'a plus mal, ou du moins ne ressent plus les coups qui la démolissent.
    Le jour se lève et avec lui les premiers oiseaux pépient, à la recherche de nourriture. L'hôpital se réveille. Dehors la vie frissonne, s'infiltre à chaque carrefour. Elle prend sa place. Camille cède la sienne.
    Avant de déposer les armes elle entend les chariots de soins circuler dans les couloirs. Elle se sent emplie de compassion pour la première infirmière  qui entrera dans sa chambre. Mais la guerre est finie. Un léger sourire flotte sur ses lèvres.
    Au moment où la porte grince, poussée par celle qui prend son service, les mains de Camille s'ouvrent et lâchent les barreaux qui la retenaient à la vie.
    IsaE le 08 février 2022
    KatiouchkaB  magnifique, vous avez réussi à me faire pleurer ...

    agirlinindia   une conversation des plus intéressantes et instructives. Vivons ! Tant que nous le pouvons !

     
    Taenarra   votre texte me touche au plus profond du coeur... Je ne sais pas s'il est autobiographique mais si c'est le cas vous avez tout mon soutien, vous n'êtes pas seule ...

    dans le poste suivant, ma participation,
    merci pour ceux qui liront/commenteront
    IsaE le 08 février 2022
    "Je ne suis pas folle vous savez.
    J'ai bien vu mon ventre grossir et se déformer pendant 8 mois. J'ai perçu ces bulles, ces petits coups. J'ai eu des nausées, des envies étranges. J'ai dû faire attention à ce que je mangeais. J'ai changé ma garde robe. J'ai constaté que mes mouvements étaient de plus en plus lents, entravés. J'ai compris que la fatigue embuait mon esprit et me jouait des tours.
    Mais tout ça était réel.

    Je ne suis pas folle vous savez.
    Tout à coup, j'ai senti mon ventre se tendre à l’extrême, comme s'il se déchirait brutalement. La foudre a frappé plusieurs fois, pour me faire comprendre que ça y est, c'était l'heure. La tempête a fait rage, vagues après vagues, de plus en plus hautes, sans me laisser le temps de respirer. J'ai vu de l'eau couler puis du sang. J'ai crié je ne sais quoi sur je ne sais qui. J'ai hurlé pour évacuer cette pression qui m'habitait. J'ai sué à grosses gouttes pendant que je poussais de toutes mes forces. J'ai donné toute mon âme, toute ma vie dans cet ultime effort.
    Mon corps entier s'en souvient encore.

    Je ne suis pas folle vous savez.
    Et puis le calme est arrivé. Sans un bruit, sans un cri , il est né, mon enfant, mon tout-petit. Merveille des merveilles, l'Amour de ma vie. Je les ai vus, ses petits yeux clos, son tout petit nez et ses mains minuscules. Une peau toute fripée, des cheveux en bataille encore imprégné de je-ne-sais-plus-quoi, le plus beau bébé du monde. Sa douce odeur, son petit corps blotti sur mon cœur.
    Je ne l'ai pas rêvé, c'est gravé dans ma mémoire.

    Je ne suis pas folle vous savez.
    Les nuits à ne pas dormir. Un corps endolori qui peine à retrouver sa forme. Le sang qui coule encore et toujours. Plus aucun vêtements ne me va.
    L'entendre pleurer nuit et jour. Ne pas savoir comment l'aider, comment le soulager. C'est difficile vous comprenez ? Une mère veille sur ses enfants, mais ignorez vous comme on se sent seule ? Désemparée ? Savez vous comme ces pleurs me retournent le cœur à chaque fois ? Comme je me sens impuissante ? Inutile ?
    Je l'aime d'un amour fou et je ne peux pas l'aider, je l'entends toujours pleurer...

    Je ne suis pas folle vous savez.
    Demandez à tous ceux qui sont là aujourd'hui ! Ils viennent bien pour mon enfant. Regardez il y a sa photo là, enfin son échographie ! Et puis il y a bien son nom, là, sur ces papiers, à côté du mien et de celui de son père.
    Mais demandez allez-y, ma famille, mes amis, tous sont venus pour l'admirer !
    Et puis enfin ouvrez les yeux, ne le voyez-vous pas ? Il est là, tout calme, il dort paisiblement, dans son petit pyjama, avec son doudou, dans un joli couffin ; regardez ! Il y a des fleurs et des bougies, apportées exprès pour lui. Chacun vient dire un mot gentil, regardez comme nous sommes bien entourés...
    C'est réel, non ?

    Mais !
    Pourquoi pleurez-vous ? Pourquoi tout le monde pleure ?
    Il est là ne le voyez-vous pas ?
    Ça y est il pleure aussi !
    Mais !
    Ne l'entendez-vous pas pleurer ?
    Écoutez ! Il pleure ! Vous entendez ?
    Laissez-moi le prendre ! Le réconforter !
    Je suis sa maman ! Laissez-moi passer !!!

    Je ne suis pas folle vous savez.
    Je l'aime, c'est tout.
    C'est mon bébé.
    Mon Tout-Petit.
    Pour l'éternité ..."
    BrigitteLY le 08 février 2022
    Tout nouvellement inscrite, voici ma contribution :

    Notre pays sans frontières

    « Si seulement je pouvais être près de toi, pour te serrer dans mes bras… »

    « Mais tu sais, il y a les frontières ! »

    Alors, nous décidâmes de créer un pays, un pays rien qu’à nous, un pays sans frontière.

    Ce pays sans frontières serait fait des plus beaux paysages que comptent nos deux pays.

    Dans notre pays sans frontières, point de dictature, de monarchie, de corruption, de guerre, de misère, de tortures ni de haine, seulement la paix, l’amour, la tolérance.

    Dans notre pays sans frontières, tu ne te ferais plus briser les os pour avoir défendu tes idées, pour la liberté, pour ta lutte acharnée contre l’injustice.

    Dans notre pays sans frontières, chacun aurait accès à la culture, à la musique, à la lecture, chacun aurait droit de s’exprimer, de penser, de s’aimer.

    Dans ce pays sans frontières, il ferait toujours beau, et le soleil brillerait, et la Terre et la mer nourriraient leurs enfants.

    « Je voudrais tant te serrer dans mes bras… »

    « Alors viens, je suis là ! »





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