| Eden2020 le 04 février 2022
Bonjour, voici ma contribution sur le thème tristement d'actualité du consentement . Ressenti d'une victime ! (Évidemment histoire fictive...) "bonne" lecture !
C’est quoi l’amour ?
7h : le réveil sonne.
7h05 : rappel, le réveil sonne.
J’ attrape le téléphone d’un geste machinal, je suis exténuée. La lumière de l’écran éblouit mes yeux fatigués, faute au rendez-vous manqué avec Morphée. Je les ferme un instant, afin de m’habituer à la lumière. Je vois enfin se dessiner mon fond d’écran, Henry me fait son plus beau sourire et ses yeux marron pétillent de malice, rien que de voir sa frimousse me donne des papillons dans le ventre. C’est donc ça l’amour ? Je n’ai jamais rien ressenti de tel pour un garçon, enfin, je crois... Quand est-ce qu’on sait qu’on a franchi la frontière entre désir et amour ? Nous ne sommes ensemble que depuis quelques semaines, mais je sens déjà mon cœur battre à tout rompre lorsque je pense à lui. Il est si doux, si attentionné. Et puis, il est différent des autres, il ne m’aime pas que pour mon physique lui, il me considère. Prenez notre première fois ensemble, le jour de mes 17 ans d’ailleurs, Henry avait tout préparé afin que nous passions une soirée romantique : bougies parfumées, pétales de rose, champagne… C’est ce dernier qui m’a donné le courage de me lancer, malgré mes quelques réticences et hésitations. J’avoue avoir été un peu timide les premiers temps, mais contrairement à mes autres expériences, je les trouve plutôt positives ! Enfin, je crois. Je veux dire, j’ai des sentiments pour Henry et lui en a pour moi, il me l’a dit et me le prouve au quotidien avec ses attentions, ses petits cadeaux, ses caresses… Si on aime une personne, c’est plutôt naturel.
7h10 : rappel à nouveau, le réveil sonne.
Cette fois-ci, debout, j’ai un mal de chien à me lever, mais je me dirige silencieusement vers la salle de bain, je ne veux surtout réveiller personne. Le parquet grince sous mes pas, ce bruit me met chaque foi hors de moi ! Foutu parquet, on habite une maison du XVIIIème siècle ou quoi ? Le reflet que me renvoie le miroir ne me fait ni chaud ni froid : cernes, teint blafard, cheveux ébouriffés… Je ne supporte plus cette longue tignasse, j’ai envie de couper tout ça très court ! Est-ce que ça plairait à Henry ? On verra bien. Maman, elle, aurait voulu que je garde mes « beaux cheveux ébène que je tiens d’elle », comme elle me le disait si souvent. Mais maman n’est plus là. Une enclume pèse tout à coup sur mon cœur, je ne sais pas bien pourquoi. Après tout, je n’ai que peu de souvenirs de maman, elle est partie lorsque j’avais cinq ou six ans. Il subsiste très peu de photos d’elle à la maison, les murs étant en partie tapissés par des photos de mon père et moi : papa et moi à la plage, papa et moi mangeant des chocolats lors d’une saint-Valentin, lorsque j’avais 11 ans et que mon crush du moment m’avait proprement jetée comme une vieille chaussette. Heureusement papa avait rattrapé le coup et m’avait assuré toute la journée que j’étais sa valentine préférée. Il est un peu envahissant papa, mais il m’aime, c’est certain, il me le répète souvent. Quelques photographies tout de même avec mon frère de deux ans mon aîné, ben oui, faut bien que quelqu’un ait pris les autres photos. Mais il est du genre discret mon frère, il aime pas bien se montrer, ni en vrai, ni en photo. Il fait partie de ces êtres mystérieux cultivant un jardin secret avec une main verte étonnante. Je me demande parfois s’il m’aime mon frérot, il peut être très intrusif quand il le souhaite. Il bondit chaque fois que j’ai un nouveau petit copain, me disant que vu mon âge, je serai bien mieux en train d’étudier, qu’il faudrait que j’arrête mon petit numéro de séductrice, qu’il y a plus important que les garçons blablabla. Qu’est-ce qu’il en sait lui déjà ? Je ne suis là pour séduire personne, je plais c’est tout, j’y peux rien, aussi contraignant que celui puisse être parfois. Il ne sait pas la chance qu'il a d'être né garçon. C’est pas parce qu’il a pas de copine qu’il faut jouer les rabats joie. On ne lui connaît à ce jour ni copain, ni copine connu(e). Ou alors, bien caché(e) dans le cabanon de son jardin secret ? Qui sait ? Ah qu’est-ce qu’il m’énerve !
Mon téléphone vibre bruyamment sur le bord de l’évier, merde, je vais réveiller tout le monde et je n’ai envie de voir personne, je suis un peu grognon. C’est Henry qui me demande si je préfère qu’on dorme chez lui ou chez moi ce week-end. Mille fois que je lui répète que chez moi, c’est impossible, mon père ferait une attaque ! Je lui réponds un peu sèchement « comme d’habitude », il devrait le savoir non ?
« Bonjour darling ! »
Je sursaute et lâche mon téléphone dans l’évier. Je n’ai pourtant pas entendu le parquet grincer cette fois-ci. Foutu parquet, jamais là quand on a besoin ! Papa me demande si j’ai bien dormi en me faisant une bise. Il sait très bien que j’ai du mal à dormir.
« Je te veux à la maison ce week-end, pas de découchage. J’organise un barbecue pour l’entreprise et j’ai besoin de ton aide ici. »
Ok, mon week-end vient de tomber à l’eau, encore. Le cœur me serre. Je sors de la salle de bain et pars m’habiller dans ma chambre.
J’ai dû affronter la déception d’un Henry désappointé et grincheux toute la journée, il était plein d’ambitions romantiques pour notre petit week-end. Il ne comprend pas que notre modèle familial ne fonctionne pas comme le sien, il a encore ses deux parents lui. Henry peut parfois être un peu insistant, mais je sais que ça part d’un bon sentiment.
La journée m’a épuisée, je dîne et vais me coucher directement. Je m’endors comme une souche, c’est toujours comme ça. La frontière invisible qui me sépare de l’éveil est mince, je le sens à mon sommeil agité. Je rêve que je suis au lycée quand soudain, le parquet grince.
« Non ! » Je me réveille pantelante, mais immobile dans mon lit.
3h. Pas de réveil, mais j’ai bien entendu le parquet grincer, il grince à nouveau. Foutu parquet ! Mon cœur bat à tout rompre, des papillons volettent frénétiquement dans mon ventre. Et dire que j’ai pris cela pour de l’amour la veille, vraiment ? La frontière est mince, je ne sais pas, je ne sais plus.
J’entrevois une silhouette s’engouffrer dans ma chambre, glisser les doigts dans mes cheveux.
« Je t’aime ma valentine tu le sais n’est-ce pas ? ». Je me fige d’horreur, j’essaie de penser à Henry, en vain.
J'aime pourtant aussi cet être cruel qui me visite, mais pas comme j'aime Henry, non pas de cette façon là. Et je me demande souvent qui de ce monstre ou de moi, en premier, a traversé la frontière entre l’amour et l’effroi, mais je ne crois pas que ce soit moi.
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