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    MalauryMoyen le 01 avril 2022

    Bonjour à tous, 

    Pour ce défi d'écriture d'avril, nous vous proposons de composer un texte sur le thème du hasard. Il pourra faire aussi bien partie du procédé d'écriture comme de votre récit. Entre cadavre exquis et autres techniques surréalistes, fables de destinées contrariées ou pouvoir influencer la chance, en ce début de printemps, le défi de ce mois-ci pourra vous jouer des tours... Ou le théâtre de belles rencontres littéraires (peut être fortuite) !

    La taille et la forme de votre contribution sont libres, alors soyez innovants ! Néanmoins, nous ne prendrons en compte pour le défi que le premier texte que vous posterez ici. Comme chaque mois, le gagnant remportera un livre de la bibliothèque Babelio (qui ne sera pas choisi au hasard je vous rassure) et vous avez jusqu’au 30 avril minuit, pour nous soumettre votre texte. Pour cela, il suffit de répondre ci-dessous.


    Bonne inspiration à tous, et surtout bonnes lectures ! 


    Verteflamme le 01 avril 2022
    Vous choisirez le lauréat au hasard ? (Ok je sors)
    Verteflamme le 01 avril 2022
    J'espère que ma série de brefs essais vous plaira !


    L'expérience aléatoire 

    Soit un dé à six faces. On le lance et l'on obtient un numéro. On lit le paragraphe correspondant. 

    I

    Je lus un jour que le hasard constituait une réponse commode quand trop de facteurs, trop disparates et hétérogènes, influencent le résultat. Un lancer de dé, qui dépendra des propriétés du mouvement à ce moment-là, s'expliquera toujours physiquement. C'est moins évident avec un simulateur de dé ou une calculatrice. Chère calculatrice, je me souviens de l'époque où je lui faisais choisir un nombre au hasard, de zéro à quatre-vingt dix neuf, avant de le deviner, toujours de la même manière : cinquante, puis vingt-cinq ou soixante-quinze… Si le hasard n'existe pas, il s'agit d'une construction de catégorie. Entendons par là que tout ce qui ne rentre pas dans la catégorie de l'explicable de manière simple devient hasard.

    II 

    Le hasard est monstre, par monstre j'entends créature imaginaire (comme dit plus haut) et hybride. Comme on donne au Minotaure des jeunes gens et jeunes filles, on livre au hasard des décisions fondamentales de vie. On lui soumet des vies, des destins (destin pouvait se comprendre comme contraire du hasard. Si les divinités décident de tout, alors le hasard ne désigne plus que l'ininterprétable). Je ne crois en aucune divinité, je me mets simplement dans l'esprit de l'Antiquité. On élisait des hommes politiques par le hasard, en cela c'étaient les divinités qui décidaient. Ce monstre sacré était vénéré. Hermès, en particulier, portait chance (en plus de trente-six autres fonctions que je n'énumèrerais pas ici). Je me demande donc : même dans un système athée, comment fonctionnerait une société où les décisions seraient prises au hasard ? 

    III 

    Prendre une décision au hasard, à la toupie, au dé, aux cartes, voilà qui me tente quand je suis dans un restaurant. Et dans l'immense restaurant de la vie, il m'est parfois tentant, après un vague regard porté sur les prix, de le faire au hasard. Le hasard est d'un secours utile lorsque l'on prend une décision. Que faire quand on a peur de prendre la mauvaise ? S'en remettre à l'adage populaire "on sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on gagne" ? Ce qui signifie que le hasard peut être dangereux quand on a le choix entre celui-ci et une situation connue, peu importe cette situation s'ailleurs. Ou, suivre les pérégrinations de Descartes perdu dans la forêt ? Si l'on est perdu, il faut choisir une direction et persister. Choisis au hasard et persiste, tu sortiras de la forêt (comprendre : de l'incertitude, de l'ennui). Amusant cette spatialisation des concepts. 

    IV

    Le hasard recouvre un choix parmi les possibles. Qu'est-ce que le possible ? Ce dont, dixit une professeure de philo, le contradictoire est aussi possible. L'expérience aléatoire se construit avec de telles possibilités. La cloche de Gauss longtemps me fascina. Une bille descend une pyramide en allant soit à gauche soit à droite (cinquante-cinquante) et, si l'on répète l'expérience plusieurs fois, on obtient la cloche de Gauss. Evidemment, les extrémités sont rarement atteintes, là où le centre si mainstream se remplissait rapidement. Mais la bille peut aller au centre parce qu'elle peut aller ailleurs. Je me dis qu'en matière d'échelle et de quantité, la langue anglaise est mieux dotée que la langue française, avec ses might, may et autre could. Là où le français se contente des maigres peut et doit. 




    Je me méfie, surtout avec mon actuelle formation en linguistique, des explications fondées sur l'étymologie. Je rappellerai tout de même celle de hasard : un mot arabe désignant le jeu de dé. Car le hasard est ludique, et je n'aime rien tant que construire des listes, m'y imaginer, avant de piocher un élément en espérant que ce soit moi. "A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire" : plus longue est la liste, plus la victoire est trépidante. Le hasard est un marché : que ce soit les lotos, les casinos ou les applications de paris sportifs. Même des aspects financiers, comme la bourse, reposent sur le hasard. 


    VI 
    Politique, conduite de vie, proba, aspects ludiques… C'est ainsi, par ce patchwork, que j'explorai tout ce que le hasard peut recouvrir. C'est par la sérendipité comme j'ai déjà entendu, par le hasard, que l'on sort de la forêt, que l'on avance. C'est par hasard que l'on découvre des vérités difficiles, surprenantes, libératrices. C'est rarement par choix conscient que l'on élargit son domaine. En recherche, on trouve et invente par le hasard. J'aime à comparer la recherche à de la pêche à la ligne (bouh, je suis végan et je cite Descartes et parle de pêche à la ligne, pas bien). On ne sait jamais qui mordra. 


    Si j'ai zébré l'écran blanc de mes traces noires, c'est pour explorer le domaine du hasard. J'ouvris mon livre de philosophie pour conclure la conclusion, et je tombai sur… Descartes et le hasard. Comme par hasard. Haha, qu'est ce qu'on se marre. Quand on arrive au stade du jeu de mot hasardeux, c'est qu'il est temps d'aller se coucher. Bonne nuit. 
    fandemoi2 le 02 avril 2022
    Conte d'aujourd'hui (2)

    L'Abnégation


    Perdu au milieu d'un désert brulant, j'avance chaque pas un peu plus vers la tombe.
    Au sommet d'une dune, le diable apparaît avec une coupe dans chaque main et me dit :
    -L'une contient l'immortalité et l'autre un poison mortel pour abréger tes souffrances, choisis sans crainte ! dans les deux cas tu es gagnant !
    J'ai repris mon chemin et j'ai crié : 
    - Comme Han Suyin, je n'ai que la pluie pour ma soif !
    Et assez de temps pour l'espérer, ici chaque seconde contient l'éternité.
    Cathye le 02 avril 2022

    Il va nous falloir sacrément philosopher…

    @ VerteFlamme :  je relirai votre texte sur un écran plus grand.

    @ fandemoi2 : « je n’ai que la pluie pour ma soif » une belle façon d’aborder le hasard.  
    Han Suyin, je ne connaissais pas. Alors j’ai demandé à Google🤗😉


    fandemoi2 le 02 avril 2022
    Merci Cathye et très heureux de t'avoir fait connaître Han Suyin !
    Johankerganec le 02 avril 2022
    Bonjour à toutes et à tous, voici ma petite contribution:
    ""
        Jeanne se baladait tranquillement dans les rues de la ville.
        Célibataire, la trentaine, elle attendait sans hâte une aimable rencontre et tendait la perche au destin en ce radieux début de printemps. Elle se savait jolie et ne tarderait pas à trouver un partenaire de choix dans cette pêche en dilettante au prétendant idéal. Apparut alors dans son champ de vision un spécimen des plus avenants et son cerveau, comparant rapidement leurs trajectoires, lui confirma une intersection probable dans les deux minutes suivantes. Elle se prépara alors à user de tout son pouvoir de séduction pour capter l'attention du bel homme s'apprêtant à traverser la rue dans sa direction...

        Ailleurs, bien loin au delà de la Terre, des professionnels enfiévrés se livraient à de féroces batailles au dessus d'une sorte de gigantesque échiquier. De petits personnages s'y mouvaient, leurs interactions dirigées par les compétiteurs, à grand coups de dés. C'était un jeu très à la mode dans les couloirs du temps et qui pouvait rapporter gros au gagnant.
     
        Une partie acharnée retenait l'attention de tous les spectateurs. Il s'agissait de la finale disputée par les deux plus grands joueurs de la saison.
        Vu leurs noms imprononçables, nous les désignerons par « Marcel » et « Raymond ».
        Marcel avait un caractère épouvantable, buvait trop et était d'une mauvaise foi impressionnante qui en faisait un adversaire redoutable dans ces joutes suivies par l'ensemble de la population.
    Raymond était tout son contraire, débonnaire, jovial, d'un calme olympien et dont plus grand plaisir était de contrarier Marcel. Il venait de lancer les dés et les symboles qu'ils affichaient maintenant allaient lui permettre un coup imparable, sorte d'échec et mat...

        ...Jeanne s'était arrêtée, faisant mine de chercher son chemin lorsqu'une mouche vint se poser sur le nez de l'homme qui se dirigeait vers elle. Le mouvement qu'il fit en chassant l'importune amena son regard à croiser celui de la belle inconnue qui le dévisageait du trottoir d'en face, avec l'air de requérir son attention, flattant son orgueil masculin...

        ...Voyant sa défaite prendre forme, le mauvais joueur fit un grand geste de dépit, renversant au passage son verre rempli de nectar et inondant une partie du jeu...

        ...Par une fenêtre grande ouverte sur le printemps, notre héroïne entendit un commentateur enthousiaste décrire à la radio la vague gigantesque qui souleva un surfeur en lice dans le championnat en cours, lui permettant de réaliser des figures acrobatiques qui le propulsèrent largement en tête du classement.

        …Marcel contestant le dernier coup de son adversaire, se tourna vers l'arbitre qui vint examiner l'échiquier et fit défiler plusieurs fois l'enregistrement de contrôle...

        Sur une planète située un peu à l'ouest de notre système solaire, un savant observait une société primitive à l'aide d'un drone-mouche. Tout allait bien. Il était certain que le matériel audiovisuel récolté allait lui valoir une distinction de l'académie, lorsque le destin s'ingénia à pourrir son enregistrement. Il y avait maintenant sur l'écran une superposition d'événements contradictoires montrant d'une part une femelle et un mâle primitifs engagés dans une parade amoureuse, certes exotique, mais non dépourvue d'intérêt scientifique ; d'autre part, l'attention détournée par le drone-mouche, le mâle entrant en collision avec un véhicule lancé à toute allure. Il eut beau secouer son écran dans tous les sens et procéder à quelques réglages de son matériel de prise de vue, rien n'y fit et l'enregistrement promettait d'être définitivement ruiné...

       ...Après maintes simagrées, comme il sied à tout expert, l'arbitre accorda le coup à Raymond, lui attribuant de ce fait la partie et le championnat...

       …Sur l'écran, les images parurent se stabiliser au grand soulagement du scientifique qui put enregistrer le début de la relation amoureuse des deux représentants de la civilisation arriérée qu'il avait découverte par le plus grand des hasards. Il put observer le sourire de Jeanne croître jusqu'à devenir rayonnant et son regard se mêler à celui de l'homme qui l'avait rejointe. Les âmes étroitement mêlées dans un pas de deux immobile, ils échangeaient chaque instant de leur vie passée, comprenant que ce coup de foudre était l'aboutissement d'une improbable suite de micro-événements s'étant succédé depuis le début des mondes et qui ne devaient rien au hasard...

       ...Marcel, incapable d'admettre sa défaite, repoussa violemment sa chaise en heurtant légèrement le plateau de l'échiquier, bousculant toutes les pièces et provocant un tollé de réprobation de la part des spectateurs.

       ...Leur mains se cherchèrent, mais il n'osaient pas aller plus loin et seraient restés des heures à se regarder en chiens de faïence si un léger tremblement de terre ne les avait précipités dans les bras l'un de l'autre.
    ""
    Merci d'être arrivé jusqu'ici. Johan.
    Cathye le 03 avril 2022
    Johankerganec : comment, ns sommes une société arriérée 😂😮!!! Trop bien cette façon de casser le rythme de l’histoire de ces protagonistes issus de mondes éloignés de millions d’années.Ah ce hasard, il nous fait bien tourner la tête !!!
    Johankerganec le 04 avril 2022
    Bonjour Cathye   , merci pour votre aimable commentaire. J'ai souvent l'impression d'évoluer dans un jeu vidéo dont le seul but est d'essayer d'en comprendre les règles. Bonne journée à tous. Johan.
    JML38 le 04 avril 2022
    Apparence trompeuse

    21h55...

    Lorsque le commissaire Tardieu arrive rue Auguste Comte, il est accueilli par une multitude de gyrophares. Véhicules de police et ambulances rivalisent d’effets de lumière pour transformer la rue en un barnum impressionnant, lui laissant penser qu’il doit s’attendre à découvrir qu’il y a eu du grabuge. Sa principale crainte est d’apprendre de la bouche du commandant Armand Dupin qu’il y a un homme à terre – expression utilisée pour désigner une victime dans les rangs des forces de police –, en l’occurrence une femme, la lieutenante Aurélie Monnier, qui s’était certainement trouvée en première ligne.

    Quelques jours plus tôt...

    Le « tueur de la Presqu’île » venait de faire parler de lui pour la quatrième fois en moins d’un mois. Une fréquence inquiétante qui prouvait la frénésie destructrice d’un psychopathe sévissant dans ce quartier du deuxième arrondissement de la capitale des Gaules. Les victimes, dont les physiques différents ne permettaient pas de définir un profil type, avaient en commun de vivre seules. Elles avaient toutes été surprises au domicile et frappées de plusieurs coups de couteau, le tueur s’étant ensuite évaporé en ne laissant aucune trace. L’aspect localisé se confirmait, toutes les agressions ayant eu lieu entre Saône et Rhône dans un périmètre englobant la place Carnot et les rues desservant la place Bellecour. La section criminelle du SRPJ chargée de l’enquête avait donc circonscrit ses investigations à une zone géographique restreinte, mais néanmoins fortement peuplée et passante.

    Le commandant Armand Dupin, en sa qualité de chef de groupe, distribuait les tâches.

    — Antoine et Max, vous faites la tournée des bars et restaurants des environs, en commençant bien entendu par celui où la première victime était serveuse. C’est un microcosme où tout le monde se connaît plus ou moins, quelqu’un aura peut-être remarqué des trucs bizarres, le comportement étrange de certaines personnes, personnels ou clients.

    — Aurélie et Kader, vous faites de même dans les commerces des rues ciblées par le tueur. Recueillez un maximum de renseignements sur les malheureuses jeunes femmes. On a affaire à un casanier. Il y a forcément quelque chose à glaner dans l’enquête de voisinage.

    — Est-ce qu’on a un lien entre les trois victimes précédentes ? voulut savoir Aurélie, qui venait tout juste de rejoindre la Crim’ et n’avait pas connaissance de tous les éléments de l’affaire.

    — Négatif, lui répondit son supérieur. Le tueur s’en prend à des femmes seules, c’est tout ce qu’on a.

    — Ce qui signifie qu’il tape au hasard ?

    — Apparemment. Ce qui ne va pas faciliter sa traque.

    Après la première journée d’enquête de voisinage, Aurélie Monnier et Kader Mimouni n’avaient que peu d’éléments nouveaux à se mettre sous la dent, et espéraient que leurs collègues aient eu davantage de chance dans des lieux réputés plus propices à la vie sociale et aux rencontres.

    C’était effectivement le cas pour Max Avedian et Antoine Dimeco. Le patron d’un petit troquet avait formellement reconnu la troisième victime, comme une habituée de son établissement.

    — C’est une base de départ, souligna Antoine lors du débriefing organisé en fin d’après-midi.

    — Je peux faire une suggestion ?

    — Vas-y, répondit Armand à sa lieutenante.

    — Et si on forçait un peu le hasard.

    — Précise ton idée.

    — Je pourrais me faire passer pour une nouvelle habitante du quartier.

    — Et servir d’appât pour le tueur ? réagit Max. Trop risqué.

    — Avec une surveillance discrète et efficace, c’est jouable, insista sa collègue, bien décidée à défendre sa proposition et obtenir l’adhésion du commandant.

    Il lui revenait en effet d’engager ou non sa responsabilité, ce qu’il fit après avoir pesé le pour et le contre. Il avait accueilli Aurélie Monnier avec une certaine réserve, et devait tenir compte de l’appréciation de son précédent supérieur qui louait ses compétences, tout en soulignant une certaine insubordination et un tempérament difficile à canaliser.

    — Je valide l’idée, mais il faut que la procédure d’urgence soit réglée aux petits oignons. Je vais faire en sorte qu’une patrouille de l’anti-criminalité se trouve toujours dans les parages pour parer à toute éventualité.

    — C’est ok pour moi, assura la jeune femme. Au moindre problème j’appelle à l’aide.

    Une fois seul avec son chef, Antoine tint à lui faire part de ses craintes.

    — Je le sens moyen ce coup-là. On envoie une novice au casse-pipe.

    — Je lui fais confiance pour ne pas prendre de risques inconsidérés. A nous d’assurer au niveau protection.

    — Est-ce qu’elle sera armée ? demanda le lieutenant.

    — Elle pense que c’est mieux si elle ne l’est pas. Elle n’a pas tort, c’est difficile pour jouer les infiltrés.

    — Elle risque d’affronter un fou furieux, sans biscuit, insista Antoine anxieux.

    — J’en suis conscient. C’est pour ça qu’il faut redoubler de vigilance.

    — Je reste inquiet. Tu connais sa réputation de ne pas toujours suivre les directives à la lettre et d’être légèrement inconsciente sur les bords.

    — Je sais, j’ai lu son dossier. J’ai vu aussi qu’elle s’y connaissait un peu dans certains sports de combat.

    — Il faut espérer que cela lui permette d’attendre la cavalerie en cas de pépin.

    — Tu as peur pour elle, j’ai compris. On va la surveiller comme le lait sur le feu.
    JML38 le 04 avril 2022
    Apparence trompeuse ( suite et fin )

    L’appartement occasionnel était un coquet studio meublé. Aurélie se coucha l’esprit tranquille. Les journées suivantes étaient planifiées avec des passages dans les endroits susceptibles de lui faire croiser l’homme le plus recherché du moment.

    Après la troisième soirée, passée à la terrasse de la brasserie de la rue Victor-Hugo où la première victime avait travaillé, elle commençait à accuser une lassitude bien compréhensible en rejoignant ses pénates.

    À peine entrée dans l’immeuble, la lieutenante regretta un excès de confiance qui lui avait fait repousser, comme les autres soirs, l’offre des membres de son escorte qui souhaitaient vérifier l’ensemble du bâtiment, arguant d’un manque de discrétion qui pouvait s’avérer préjudiciable. Un mauvais pressentiment lui fit prendre son téléphone dans sa poche et afficher le premier numéro de la liste : celui de Max. Puis elle s’engagea dans l’escalier.

    La lieutenante n’eut que le temps d’ouvrir sa porte, avant d’être brutalement projetée au sol. Ce n’était pas qu’une simple impression, il y avait bien quelqu’un qui l’attendait. De chasseuse elle devenait proie. Une fois à terre, son premier geste fut d’appuyer sur le bouton d’appel de son téléphone, en espérant que cela suffise à son collègue pour comprendre.

    Max était encore au siège du SRPJ, lorsque son portable sonna. Voyant le numéro il appela la BAC et les membres du groupe, et se précipita sur sa moto. Antoine et Kader firent de même en voiture, gyrophare sur le toit pour ouvrir la route. Armand se chargea de prévenir le commissaire que les hommes disponibles se dirigeaient vers la rue Auguste Comte où leur collègue se trouvait peut-être en danger de mort.

    Le tueur se tenait dans l’entrée. Il fixait sa prochaine victime d’un regard glacial, un méchant rictus au coin des lèvres, surpris tout de même qu’elle ne se mette pas à pousser des cris de terreur en le voyant armé d’un couteau. Aurélie jugea urgent de mettre en œuvre tout ce qu’elle avait appris, pour gagner les secondes nécessaires à sa survie, tout en cherchant à déstabiliser son adversaire et profiter de sa moindre erreur.

    — Ça te fait kiffer de t’en prendre à de fragiles jeunes femmes ? Tu n’as pas l’impression d’être qu’une merde en t’attaquant à une personne d’un mètre soixante et cinquante kilos ?

    L’homme ravala un instant son sourire, puis se reprit rapidement, satisfait de se rendre compte que la souris se rebiffait. Ce n’était pas pour lui déplaire.

    — Je n’en attendais pas moins venant de toi. J’avais pour principe de laisser le hasard me procurer une proie facile, isolée, sans défense. Et je t’ai repérée chez un caviste où j’ai mes petites habitudes. Tu ne te souviens pas de moi bien sûr. Tu avais le tueur à portée de flingue, c’est ballot, non ? Car tu n’es plus armée. Logique. J’aurais repéré ton holster. Je me suis aperçu que je te croisais un peu trop souvent ces derniers jours. Ta façon d’essayer de donner le change, d’être naturelle, tout en te faisant remarquer pour accrocher le tueur de femmes. C’était pathétique, mais plutôt bien fait, je dois le reconnaître. Tu avais une longueur de retard depuis le début. Le jeu était truqué. J’avoue m’être bien amusé à t’observer. Tu vas m’en vouloir de faire durer le plaisir, le mien je veux dire. Je sais, ce n’est pas sympa. Mais on ne se refait pas.

    « Un bavard », se dit-elle. Tant mieux. Elle devait l’encourager à s’épancher, tout en guettant l’ouverture.

    L’homme continua son numéro, visiblement peu pressé d’en finir.

    — Le coup de la « chèvre », franchement, je n’y ai pas cru tout de suite. Je me suis dit alors que me faire une fliquette serait le fin du fin, qu’après un tel chef-d’œuvre je pourrais me faire oublier.

    Aurélie sentit que l’attaque était imminente. Ce que lui confirmèrent les paroles suivantes.

    — Tu sais que c’est fini. Tu ne fais pas le poids comme tu l’as judicieusement souligné toi-même. Ça va aller vite, ne t’inquiète pas.

    Le tueur avança, le couteau menaçant prêt à porter le premier coup mortel. La jeune femme évita l’erreur habituelle de reculer. Et lança une ultime bravade.

    — Tu aurais dû t’en tenir au hasard.

    21h56...

    Le commissaire Tardieu se précipite vers son chef de groupe, la boule au ventre. Il a été pris de court par l’intervention d’urgence déclenchée par Max.

    Armand a encore un peu de mal à réaliser les récents événements. Antoine, Max, et Kader, sonnés, se trouvent à l’écart de l’agitation ambiante. Les heures écoulées resteront assurément parmi celles qui soudent une équipe et font vieillir prématurément. Ne manque qu’une personne : Aurélie. Le commandant pense à la chance qu’il a eue de recruter la lieutenante.

    Son supérieur, qui lui demande ce qui s’est passé, le sort de sa torpeur passagère.

    — On est arrivés après la bataille malgré l’impressionnante rapidité de tous, lui répond-il.

    — Aurélie ? s’inquiète le commissaire d’une voix peu rassurée.

    La scène prend alors un air surréaliste, lorsque la jeune femme sort d’une voiture de la BAC. Armand remarque que le visage de ses hommes et d’Antoine en particulier retrouve des couleurs à la vue de leur collègue souriante.

    — Elle devait faire un premier compte-rendu au responsable de la brigade, explique Armand.

    — Et... elle n’a rien ?

    — Non. En revanche, dans l’ambulance il y a le « tueur de la Presqu’île », ou ce qu’il en reste. Épaule luxée, poignet pété, genou explosé, la totale si on compte le nez fracturé.

    — Mais ? elle a fait ça toute seule ?

    — Eh oui ! Elle ne lui a laissé aucune chance. Derrière la faible femme peut se cacher une experte en Krav-maga, déterminée et remontée comme une pendule. L’apparence est parfois trompeuse.
    Tointinette le 05 avril 2022
    2.12.0.0
    Tointinette le 05 avril 2022
    @
    Sylvie, mon amie.
    Depuis ton départ, et bien je ne me sens pas bien.
    J’ai commencé cette lettre quand tu as été enterrée.
    J’avais expliqué à André ta situation, et j’en suis heureuse maintenant, il a fait ce que je pouvais pas faire, te rendre hommage.
    Et si nous passons par Paris, et Montargis, nous irons te voir, voir ton caveau et voir ton arbre.

    Mais, puisqu’il a un mais, le hasard de la vie a eu la bonne idée de nous faire rencontrer.
    Est ce du hasard ?
    Ta soif de découverte de l’autre, ta tolérance envers nous, les Bretons.
    Ton dévouement à la cause Kurde (aller/retour Paris Brest avec un décollement de la rétine). Ta capacité à ne jamais te plaindre.

    Je pourrai dire quantité de phrases commençant par « Ta » Ton »

    Ta maladie au nom savant (longue de plus de 15ans) qui avant de faire son oeuvre, commence par t’annoncer un cancer, puis s’attaque à tes neurones. Plus de sensations dans les doigts, les pieds. Intolérable détérioration du corps. Pour une femme comme toi, une tragédie et là ce n’est pas le hasard.

    Nos rencontres, Paris, Montargis, St Alban, Roanne avec Alfred, Brignogan, Angoulême, Douarnenez, Albi,St Petersbourg ,Moscou (avec Gérard, ils s’engueulaient, c’était épouvantable). Nos deux voyages au Kurdistan, dont la visite inoubliable de la forteresse de Dyarbakir (ou tu avais décidé d’avoir des problèmes en suivant des jeunes dans les souterrains) , la réception des tisseuses de Hakkari.
    Tout cela comptera comme de bons souvenirs.

    A la relecture des lettres de tes parents ( je me suis proposée car j’aime bien l’histoire), Suzanne et André, j’ai alors compris l’importance des horaires de chemin de fers et j’en ai écrit des flopées. Surtout s’assurer que l’on est bien partis, et bien arrivés quand on est juifs. Et le quotidien à cette époque pour ne pas se faire prendre et protéger la petite famille. Claire était déjà née. Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois à Montargis, j’ai bien compris qu’elle n’était pas bien. Et Sylvie, bien après, m’a raconté l’histoire en me disant que Claire l’avait un jour trahie.
    La suite je ne la connais pas, mais d’avoir été présente lors de son suicide, a dû être insupportable à Sylvie.
    Secret ou hasard ?

    Je regrette le lien que tu tissais entre nous, tellement différents de bord et de milieu.
    Les rencontres souvent inédites de nouveaux contacts, qui sont devenus de nouveaux ami.e.s

    David, Améziane, Gérard, puissions-nous vous revoir.
    Je ne parle pas de Jules, je pense qu’il ne va pas nous quitter et là je m’interroge, je pense que tu m’as refilé le fardeau. Bon je vais assumer.

    J’ai aimé ton nouvel appartement, que nous avions visité en juin lors de notre cérémonie d’adieu, venus avec des huîtres (que tu n’avais pas pu garder) et le vin blanc.

    Oui, on le savait bien que nous étions venus pour te dire au revoir.
    Cependant, c’était chaleureux, ton lit/bureau débordant de partout, illuminé par le panneau lumineux du garage.
    Tous tes tableaux aux murs. Ta cuisine nickel. La bibliothèque dessinée par Jules (il n’en était pas peu fier).
    Un ami était en train de défaire les cartons de livre. Dans la cuisine, un étudiant noir repassait une chemise.

    Tout ton monde amical autour de toi.
    Navré par la nouvelle, mais content de te voir encore.
    Une mort annoncée. Comme ce doit être difficile à digérer.
    J’ai regardé le film « La mort en direct » avec Romy Schneider. Et je t’ai vu.

    J’ai regretté de ne pas avoir fait la connaissance de ta petite fille sur Brest, (mordue par un chameau) (à Etonnants Voyageurs à St Malo) nous étions encore à Brignogan avec beaucoup de famille. Rien n’est perdu à jamais, si vous venez sur Brest, qui que ce soit, nous seront super heureux de vous accueillir.

    Aussi un lien qui nous unissait Sylvie et nous. Est-ce du hasard ? La brocante, les salles des ventes, la peinture.
    Sa vie avec un médecin, puis avec le peintre Edgard Pillet, vie captivante. Ses tableaux sur nos murs.

    Pour revenir à ce qui compte le plus « Sylvie »
    En fait je me mettais à sa place, et je me disais, (si on te dit que tu n’as plus que 5 mois à vivre) tu fais quoi ?
    Régler les affaires de famille. Penser que tout le monde t’a demandé de ne plus fumer .
    Mais on ne peut pas se mettre à ta place.
    Sa mort, notre mort, n’est rien qu’un face à face avec nous même.

    J’ai fait ce qu’il me semblait juste de faire.
    Te dire au revoir, respecter ton choix d’inhumation (au moins on sait où tu es) me dire que je peux aller te rendre visite.
    Alors pour finir, oui sinon j’écris ta bibliographie, j’ai fait l’impasse sur ta mort parce que c’était trop dur.

    Aujourd’hui, mois d’avril 2022, je peux commencer à faire le deuil. Pour une femme qui a toujours assumer ces choix.
    Une simple amie.
    Tointinette

    2.12.0.0
    Bluebells le 05 avril 2022
    Tu ne pleures plus, ô mon pays bien-aimé.
    Si j’en connais les notes subjectives, je n’écris pas ces mots par hasard. On dit que le hasard n’existe pas. Mais, comment pourrait-on nommer quelque chose qui n’existe pas ? Le hasard est un drôle de type, agent secret de l’inconscient, ayant la spécialité de surgir à n’importe quelle seconde, le sourire en coin, l’air innocent tout en sachant ce qu’il fait. Il guette l’être qui cherche qui ne sait pas qu’il cherche, encore moins ce qu’il cherche. Il m’a souvent prise au dépourvu.
    Je me souviens d’un vieux film que nous regardions les soirs de Noël, une tradition, quand Gabriel était en vie. Dans “La vie est belle” de Frank Capra, Henry Travers interpréte Clarence, ange incarné dans un bonhomme aux cheveux blancs et sourire de bébé. Sauvant un humain du suicide, il démontre l’intelligence du hasard et combien le monde serait différent si nous n’étions pas nés. En pire ou en meilleur.
    fandemoi2 le 05 avril 2022
    Un ange aux cheveux blancs et sourire de bébé qui démontre l'intelligence du hasard. . .
    Très belle métaphore Bluebells. Ceux qui l'ont toujours nié vont commencer à réfléchir.
    Une vision de sagesse qui va nous rester.
    Bluebells le 05 avril 2022
    Merci, fandemoi2. Ce passage est un extrait du troisième roman que j'écris, en ce moment. Ton commentaire m'encourage. Bonne journée, bonnes lectures !
    Bobee le 06 avril 2022
    bonsoir Malaury & co. voici ma prop. en forme de nouvelle courte. Rx

    Une belle tuile

    La toute première fois que je t'ai vue, fut une rencontre fracassante.
    Je me promenais dans la rue Sainte-Anne par une belle journée d'automne, comme aujourd'hui, je me sentais gai et léger, quand soudain un cri derrière moi résonna : « Attention ! La tête! ». Je n'eus pas le temps de réagir que je me retrouvai sonné, au sol. Je n'avais perdu connaissance qu'une fraction de seconde, me semblait-il. Un filet de sang coulait doucement de mon crâne sur mon front. Devant mes yeux, sur le pavé gris de la rue, tu m'apparus...
    L'instant d'après, un voile noir m'était tombé sur les yeux.
    Je m'étais réveillé à l'hôpital, où j'avais déliré, selon mes copains. J'en avais entendu de toutes les couleurs: « Alors, c'est une belle tuile qui t'est tombée sur le coin de la g... ? » Je n'en avais cure.

    Le surlendemain, j'étais revenu dans la rue Sainte-Anne. Tu étais là : quelqu'un t'avait poussée du pied sous une fenêtre, au ras d'un mur. Tu ne portais aucune trace de choc, j'avais amorti ta chute. J'ai aimé te retrouver là, ronde et dorée comme un petit pain juste sorti du four. Je pressentais que notre rencontre n'était pas due au hasard, c'était un signe. Je ne m'étais pas trompé. Je t'ai ramenée chez moi et je t'ai regardée toute la soirée. Et là, j'ai eu une illumination : j'allais changer de métier. Tu étais ma chance.
    J'ai aimé ce temps d'apprentissage du métier de couvreur. Ce n'était pas tous les jours facile. J'avais le vertige. Mais tu me donnais confiance, je savais que je ne tomberais pas tant que tu étais là, près de moi. J'ai aimé ce métier passionnément. Prendre de la hauteur, m'asseoir sur les toits du monde, c'était un vrai bonheur. Toi, tu étais toujours avec moi là-haut. J'ai aimé ce compagnonnage. Nous avons eu des jours ocre rose, des jours verts, des jours bleus. Des jours soleil.

    Et puis, des jours gris, des jours de pluie. J'ai glissé plusieurs fois, j'ai eu très peur parfois, mais toujours mon harnais et ta présence me retenaient et me sauvaient.
    Bien sûr, j'en ai côtoyé, des tuiles de faîtage et d'autres, d'aussi jolies que toi. Bien sûr, j'ai repensé à notre première rencontre sous ce soleil d'automne... Le temps et les intempéries avaient laissé leurs traces, tu n'étais plus aussi rose et dorée, ton vernis s'était craquelé, ridé. Quand j'y repense, mon coeur se serre de chagrin.
    Un jour de gros orage, je suis redescendu, par sécurité, et je t'ai oubliée là-haut, sur les toits du monde. Le lendemain, je ne t'ai pas retrouvée. Tu avais glissé, tu t'étais fracassée sur les pavés gris d'une petite rue qui ressemblait à celle, où nous nous étions rencontrés. Cette fois, je n'avais pas été là pour amortir ta chute. Je t'ai pleurée, un peu. Mais le spectacle doit continuer, the show must go on !
    Je travaillais pour une petite boîte qui tournait rond, j'avais une famille et une jolie maison. Tout pour être heureux. Je bossais beaucoup, j’avais de l’ambition. Le patron, âgé, n’avait pas d’héritiers. Je me voyais déjà à sa place. En attendant, je voulais de l’argent, beaucoup d’argent. C’était facile. J’acceptais tous les contrats, tous les risques. Je suis tombé. De très haut.
    Longtemps, je suis resté dans le coma. Très longtemps. Lorsque je me suis réveillé, ma femme était à mes côtés, elle me tenait la main. Elle m’a tenu la main tout le temps de la rééducation, de la réadaptation. Ça n’a pas suffi. Mes vitres sont restées grises et ternes, avec comme un voile permanent devant. Je porte des lunettes noires depuis ce temps-là.

    J'ai passé la main. Mon fils a repris l'affaire plus tard. Je ne monterai plus jamais sur les toits du monde. J'ai gardé sur le sommet de la tête une belle cicatrice bosselée, que je caresse de temps en temps.
    Je pense toujours à toi...
    Johankerganec le 06 avril 2022
    Bonjour Bobee   . J'aime tout dans ce texte. Le rythme, les pointes de poésie, le destin qui nous guide, sous les traits du hasard, et nous envoie des signes parfois frappants pour nous indiquer le chemin à suivre. Le compagnonnage avec un être minéral, rappelant les vers de Lamartine: « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer? ». Merci. Johan.
    agirlinindia le 06 avril 2022

    Voici ma proposition, sur le thème du hasard. Excellente soirée aux lecteurs !


    *****

    Un coup de dés jamais n'abolira le hasard. Stéphane Mallarmé

    *****


    Une averse de neige un 19 avril, c'est étrange ! Quelle ironie du printemps. Une rafale de bise mêlée de flocons lui fouette le visage. Sophie est hissée à l'arrière de la fourgonnette par deux soldats. Assise, elle contemple le camaïeu de gris du ciel, sans doute est-ce la dernière fois que son regard perçoit la lumière du jour. Le soldat chargé de préparer le fourgon bougonne en allemand, il ne retrouve pas la clef de la porte arrière sur son trousseau. « Tant pis, elle restera ouverte », comprend-elle. Le chauffeur court en tapant ses mains pour les réchauffer, suivi des deux motards déjà équipés. La portière claque et l'obscurité engloutit l'arrière du fourgon.




    19 avril 1943, dans le massif du Jura.

    Le convoi serpente à travers les sapins. La nausée s'installe rapidement, sous l'effet des virages et de la peur, surtout. A Besançon l'attendent les interrogatoires interminables, les humiliations, peut-être la torture. Noyade ? Strangulation ? Passage à tabac ? Les aveux et l'exécution au petit jour ? Que signifie la mort quand on a vingt-trois ans ? « C'est mon dernier voyage », redoute Sophie. Une cohorte de visages apparaît, ceux de ses parents, d'amis, d'Alain, son professeur de philosophie qui lui avait remis son diplôme du baccalauréat et qu'elle aimait en secret, d'Adrien, qui lui avait remis les dernières instructions de sabotage, qu'elle n'avait pas pu exécuter. Les regrets et la peur. Sophie ne parvient plus à se retenir, son urine se répand à travers son manteau et goutte jusqu'au plancher. « Ils vont bien rigoler quand ils me verront, souillée et morte de trouille ! »

    Un craquement. Le bas-côté de la route, abîmée par les morsures du gel, cède sous le poids du fourgon. Sophie se sent décoller et flotter, soudain. La camionnette retombe lourdement et entame des tonneaux, dans un brouhaha de tôle pliée et des hurlements du chauffeur. « Quel hasard, je ne vais pas mourir sous la torture, mais d'un accident de la circulation ! ». Le véhicule achève sa course contre le tronc d'un sapin. Tête à l'envers, Sophie se surprend à respirer encore. Une odeur d'essence emplit l'habitacle. « J'ai peut-être encore une chance », se dit-elle en se rappelant de la portière que le soldat n'avait pas verrouillée.

    Essoufflée, abasourdie, Sophie s'extirpe du véhicule fumant et disloqué, malgré ses mains attachées dans le dos. A l'avant, le corps du chauffeur est désarticulé. Elle aperçoit en contrebas la silhouette d'un des motards, enroulée autour d'un tronc comme un boa, sous l'effet du choc. Il lui manque un bras. Il a du être surpris par l'échappée du fourgon, avant de l'accompagner dans sa chute mortelle. Sophie connaît parfaitement la région, tente de repérer un sentier entre deux villages. Elle avance et chancelle dans une démarche étrange à cause de ses mains entravées. « Je suis vivante, je suis vivante, maman chérie, viens me chercher ! ».

    Une douleur vrille sous son crâne. Un goût de métal a envahit sa bouche. Mais elle ne perd aucune des précieuses minutes de cette échappée inespérée. C'est trop beau pour être vrai. C'est le jeu du hasard. D'abord la portière. Puis cet accident, sa survie. Et là, un sentier, à présent ! « Crois-tu au destin, Alain ? ». C'est la première question qu'elle lui posera. Elle se le promet. Sophie s'adresse à voix haute à ceux qu'elle aime, c'est sa façon à elle de leur dire : «Je suis encore de ce monde, attendez-moi ! ».

    La route sinueuse de l'autre côté de la vallée apparaît. Elle est déserte. Sophie réfléchit aux barrages installés pour filtrer les véhicules. Des escouades avec des chiens doivent déjà être à sa recherche. Le deuxième motard a du faire demi-tour et donner l'alerte. Mais la nature qui l'entoure ne lui livre que le silence, entre deux bourrasques glacées. « Je dois me fier au hasard. Lui faire confiance ». Sophie entend un moteur et scrute rapidement la route. L'obscurité va vite arriver. Rester dans cette forêt est une option trop risquée. La voiture approche, avec à son bord, un homme seul. Sa respiration s'emballe. « Je joue le tout pour le tout. Il va s'apercevoir que je suis ligotée. Je serai vite fixée sur mon sort ». Elle se poste sans hésitation sur le milieu de la route. Sophie, qui avait toujours affiché un athéisme farouche, a presque envie de prier. La voiture ralentit près d'elle.

    Le conducteur, un homme élégant, s'approche de Sophie, qui ne le quitte pas des yeux. Presque tout se joue à cet instant entre ces deux êtres, entre ces deux regards. « Et si j'avais fait le mauvais choix ? Il va me tuer, ici, dans quelques secondes. Ou me livrer aux Allemands. Quelle folie ! Je peux encore m'échapper. Je deviens paranoïaque».
    - Je rentre chez moi, à Baulieu-Les-Dames, avant le couvre-feu. Vous y serez en sécurité, ordonne-t-il. Je dois rencontrer un orfèvre en Suisse, demain, pour mes affaires. Je vous emmènerai.
    - Et le poste frontière ? Votre voiture sera fouillée !
    - Vous préférez rester ici ?

    L'homme saisit le bras de Sophie et l'amène à l'arrière du véhicule, tranche ses liens et l'aide à s'installer dans le coffre. « Combien de fois la mort m'a-t-elle provoquée aujourd'hui ? A quoi joue-t-elle ? », se demande Sophie, pelotonnée dans le noir. Le 20 avril 1943, l'homme providentiel prendra la route vers la Suisse. Il laissera Sophie, sauve, à Neuchâtel.
    franceflamboyant le 07 avril 2022
    PUUR EN VOYAGE


    Hasard était content. Il avait voyagé sans encombre. Oslo-Paris, ce n'était pas très compliqué. A Charles de Gaulle, il était sorti de sa torpeur. On l'avait invité en tant que conférencier et demain, il serait salle Pleyel, alors autant fourbir ses armes. En Norvège, déjà, il avait flâné dans la zone hors taxe et là, il s'attarda dans quelques boutiques. Les Français, ah les Français ! Vraiment, ils étaient différents des Norvégiens. Pourquoi  ceux-ci étaient-ils si heureux? Quelques idées: nature magnifique, grands espaces, équilibre travail-famille, bon système de sécurité sociale, taux de chômage bas, le meilleur pays au monde pour être mère et beaucoup plus d'égalité que dans d'autres pays. Bien sûr, il y avait le revers de la médaille. Un fou se mettait à tirer sur la foule, une tuerie se déroulait quelque part ou un viol...Mais globalement, le hasard (donc lui) faisait bien les choses. Même les jeux de « hasard » étaient solidement réglementés...
    Et en France, quel rôle avait-il, lui, le hasard ? Il en avait bien plus qu'une vague idée, bien sûr, mais cette fois, tout serait plus clair. Puûr s'approcha d'un magasin de spiritueux. Une jeune caissière brune aux grands yeux bleus très maquillés souriait à un quadragénaire séduisant qu'elle espérait divorcé. Il venait de lui acheter une bouteille de cognac. « Celle-là, se dit Puûr, elle pense que le hasard a des intuitions qu'il ne faut pas prendre pour des coïncidences. Cet homme là, elle l'aura épousé dans l'année et elle se félicitera pour son flair. Il était et est vraiment charmant, même si un peu dépensier ».
    Sortant de la boutique où il avait acheté du champagne, Puûr se dirigea vers la douane et se livra aux formalités d'usage. Ces gens-là, ces douaniers français, tout était selon eux si planifiés ! Or, pensa t'il, la planification, c'est du hasard mis en conserve. Quoi ? Ils n'ont pas compris cela ? Riant silencieusement, il prit son taxi pour le Concorde Lafayette et, à la réception, se montra ravi d'être accueilli par une ravissante réceptionniste qui parut sensible à sa hiératique beauté  et à son regard perçant.





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