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Critique de Charybde2


Western endiablé opposant éco-saboteurs et forces de l'ordre / du profit, au coeur des Four Corners.

Publié en 1975, le premier roman d'Edward Abbey, après son récit "Désert solitaire" (1971) et son essai "Le pays des cactus" (1973) est indéniablement l'un de ces livres rares qui, semblant s'appuyer sur du local et du très particulier, parviennent raidement à une stature mythique presque universelle.

Lors d'une descente en rafting du Colorado, en aval du désastre écologique qu'incarnent le barrage de Glen Canyon et le lac Powell, quatre Américains amoureux de la nature en général, et de celle, semi-désertique, de la région des Four Corners en particulier, s'associent pour inventer, avec vigueur, détermination et humour, l'éco-sabotage visant exploitations minières destructrices, ouvreurs de routes, de voies ferrées et de lignes électriques inutiles, et ne répondant comme souvent qu'au besoin d'enrichissement de quelques-uns, en s'attaquant nuitamment, tout d'abord, aux parcs de machines, tracteurs, bulldozers et autres excavatrices mal gardés sur les chantiers dévastateurs de la forêt d'Arizona et d'Utah... D'où le nom que donnent rapidement police, presse et milices privées des industriels aux quatre inconnus : le gang des clefs à molette.

C'est ainsi que l'on découvre et aime Doc, le grand chirurgien d'Albuquerque qui consacre son temps et son argent à financer le matériel et les expéditions du groupe, sa compagne libre, sauvage et inventive, la jeune new-yorkaise Bonnie Abzug, "Seldom Seen" Smith, le mormon non officiel (et pratiquant donc la polygamie abandonnée depuis plus d'un siècle par l'église officielle des Saints des Derniers Jours), guide de randonnée et d'expédition connaissant le moindre recoin des étendues sauvages de la région, et enfin George W. Hayduke, l'ex-béret vert du Vietnam, fruste, frugal, immensément généreux, et capable de parcourir 40 miles de moyenne montagne en moins d'une journée tout en portant soixante kgs de matériel...

Avec un ton unique, oscillant perpétuellement entre la description "sérieuse" des faits et des lieux (et donc avec cette bien particulière poésie du désert) et l'humour déjanté des quatre compères, Edward Abbey livre un étonnant western contemporain, où la préparation des "coups" alterne avec les courses-poursuites échevelées dans le désert et la rocaille, les carters des moteurs répandant leur huile ou la consumant mortellement mêlée au sirop d'érable, tandis que les coups de feu des shériffs et miliciens sifflent souvent aux oreilles de ces outlaws résolus à ne pas laisser la nature être massacrée au nom du profit sans se battre, et revendiquant leur anarchisme (globalement plus marqué, dans l'intimité et malgré les sabotages, par Stirner ou Thoreau que par Bakounine, toutefois)...

Le roman fut aussi, dans la "réalité", et à l'instar du célèbre "Printemps silencieux" (1962) de Rachel Carson, à l'origine d'une nouvelle génération de mouvements écologistes plus radicaux et moins "pépères" que leurs aînés...

Un très grand livre, percutant et drôle, tout baigné d'amour des êtres libres et des paysages des Four Corners.
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