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Critique de SerialLecteurNyctalope


Ils s'appellent Alice et Jules mais auraient pu s'appeler de tant de prénoms différents. Ce roman s'adresse aux amoureux du couple, aux trompés, aux trompeurs et trompeuses, à ceux qui aimeraient tromper et ceux qui détesteraient l'être, aux amoureux de l'amour, à ceux qui pensent qu'il ne peut pas durer et ceux qui y croient malgré plusieurs échecs. Ils se retrouvent sur un banc du jardin du Luxembourg à 90 ans chacun, les mains tremblotantes, la mémoire qui flanche. Sans se souvenir quel couple ils ont formé. Sans se rappeler des disputes, de la passion, des trahisons, de la mauvaise foi, des regards amoureux ou désenchantés, des gestes évocateurs, de leurs enfants ou des lieux qu'ils ont parcouru ensemble. de leurs amants, de leurs maîtresses, de leurs regards et désirs inassouvis, des petites phrases assassines qui ne s'oublient pas.

Tout commence à rebours en 2022 comme l'album « Malgré tout ». le temps s'égrène au rythme du tourbillon de la vie pour ce couple qui vit a l'unisson de leurs sentiments. L'histoire pourrait se répéter, l'urgence sentimentale qui se déroule sous nos yeux m'a totalement conquis. Quelle sensation est plus forte que la peur de se perdre ? Sur 60 ans jusqu'en 1955, entre Venise, l'Algérie et surtout Paris, ville éminemment romantique, Éliette Abécassis en 200 pages, arrive à créer l'alchimie romanesque d'une manière à la fois épurée dans le fond et complexe dans la forme.
Il est assez frappant de constater que l'esprit humain est troublé quant à la conception de temporalité. Vous serez surpris par votre faculté à entrer dans la danse avec frénésie et exaltation tout en relisant certains chapitres. Au nombre de quatorze, ils virevoltent selon l'époque. de Mai 68, à la chute du mur de Berlin, du World Trade Center à l'élection de François Mitterand, l'évolution des moeurs percute dans sa flagrance. Entre l'adultère faute pénale auparavant et la libération sexuelle, le couple évolue à travers le regard de chacun des protagonistes. On s'interroge sur son couple mais aussi sur les occasions manquées. Celle qu'on aurait pu saisir faute de témérité.

Ce roman est un shot d'adrénaline où quelques mots ont pu faire basculer plusieurs destins. Une lettre manuscrite écrite en 1955 bouleversera le dédale des personnages de ce roman. Institué en tant que fil rouge, elle viendra avec une élégance sans commune mesure, percuter l'organe le plus précieux que l'on connaisse : le coeur. Preuve et témoignage ultime qu'ils se sont aimés. Chacun se sera forgé des souvenirs communs, des lieux, des rendez-vous manqués, la puissance d'un premier regard ou d'une chanson, des gestes anodins ou dureté des mots. Un passé rempli d'images qui vient secouer nos habitudes. Parfois il s'agira de celles de certains couples qui ne se regardent plus, ne se touchent et ne se désirent plus. de cette déshumanisation de l'amour dont on parle peu. de cette crainte de se coucher dans le même lit avec son conjoint ou de cette cage dont on peut rester prisonnier tout en aimant la personne qui nous accompagne. Avec une maîtrise évidente, une absence de manichéisme et un art du suspens constant, Éliette Abécassis a cueilli le lecteur que je suis avec délicatesse et douceur dans un monde seriné d'injonctions. En étendard absolu d'un amour incandescent passé, présent ou futur, cette lettre demeure le sel de ce qui nous lie tous.

Vous serez sous le charme de l'ironie de Jules, de l'indécision d'Alice mais aussi de ceux qui les entourent, tant certains personnages comme Odette (que j'embrasse) arrivent à saisir un instant de grâce, en silence. À la fois déstabilisant dans sa forme narrative, brillant par sa construction et intrigant humainement, ce roman est celui de la justesse. Celle qui vient rendre l'indicible visible, celle qui démêle l'inextricable. Sans jamais être manichéenne sur l'art du couple, l'autrice émeut par sa douceur et tisse une toile dont on ne veut pas s'échapper. Roman incandescent sur la nostalgie et les étais détails qui font les grandes histoires, il est impossible de résister à l'envie de découvrir l'origine de leur histoire. Comment passe t-on de l'opulence au néant sans qu'on puisse s'en rendre véritablement compte. En réalité, il suffit d'un regard, d'une attention ou d'une tendresse pour que le feu ne s'éteigne pas. Pour combattre la solitude dans le couple et vide permanent d'une époque qui n'est plus la sienne, on se replonge dans ses souvenirs d'antan.

Éliette Abécassis est une fine observatrice. Son oeil capte les détails de petites scènes parfois anodines, pour universaliser des postures qui nous sont proches. Se construire sur le silence et survivre sans lui. Ces deux êtres qui iront côtoyer d'autres créatures, avaient besoin de souffler et de respirer, l'adultère en était le subterfuge. On court ainsi après le temps, après ce qui nous traverse. Partir. Rester. Subir. Agir. On tergiverse avec chacun des protagonistes, on valide ou réfute chaque décision de vie.
Il est temps de se quitter à présent pour mieux se retrouver. Rendez-vous dans sept ans au café de Flore, on verra si on s'aime toujours autant.
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