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Citations sur Histoire de mes malheurs (2)

Qu'ajouterais-je ? Un même toit nous réunit, puis un même cœur. Sous prétexte d'étudier, nous nous livrions entiers à l'amour. Les leçons nous ménageaient ces tête-à-tête secrets que l'amour souhaite. Les livres restaient ouverts, mais l'amour plus que notre lecture faisait l'objet de nos dialogues ; nous échangions plus de baisers que de propositions savantes. Mes mains revenaient plus souvent à son sein qu'à nos livres. L'amour plus souvent se cherchait dans nos yeux l'un de l'autre que l'attention de les dirigeait sur le texte. Afin de mieux détourner les soupçons, l'amour me poussait parfois à la frapper : l'amour, non la colère ; la tendresse, non la haine, et la douceur des coups nous était plus suave que tous les baumes. Quoi encore ? Notre ardeur connut toutes les phases de l'amour, et tous les raffinements insolites que l'amour imagine, nous en fîmes aussi l'expérience. Plus ces joies étaient nouvelles pour nous, plus nous les prolongions avec ferveur, et le dégoût ne vint jamais.
Cette passion voluptueuse me prenait tout entier. J'en étais venu à négliger la philosophie, à délaisser mon école. Me rendre à mes cours, les donner provoquait en moi un violent ennui, et m'imposait une fatigue intolérable : je consacrais en effet mes nuits à l'amour, mes journées à l'étude. Je faisais mes leçons avec négligence et tiédeur ; je ne parlais plus d'inspiration, mais produisait tout de mémoire. Je me répétais. Si je parvenais à écrire quelque pièce en vers, elle m'était dictée par l'amour, non par la philosophie. Dans plusieurs provinces, vous le savez, on entend souvent, aujourd'hui encore, d'autres amants chanter mes vers…
(éd. Babel 2008, trad. Paul Zumthor, p. 155)
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Dès qu'on eut connaissance de ma retraite, les élèves commencèrent à accourir de toutes parts. Abandonnant villes et châteaux, ils s'enfonçaient au désert ; délaissaient leurs maisons confortables, ils venaient se construire de petites cabanes où les herbes des champs et du pain grossier leur tenaient lieu de mets plus délicats ; le chaume et la mousse remplaçaient pour eux la douceur des lits ; ils amoncelaient des mottes de terre, qui leur servaient de table. Ils paraissaient imiter les anciens philosophes au sujet desquels saint Jérôme écrit, dans le second livre Contre Jovinien : « Les vices pénètrent dans l'âme par les sens comme par des fenêtres. La métropole et la citadelle de l'âme sont inexpugnables, tant que l'armée ennemie n'en a point forcé les entrées. Mais qui se plaît aux jeux du cirque, aux combats des athlètes, aux gesticulations des histrions, à la beauté des femmes, à la splendeur des pierres précieuses, des étoffes et de tout ce luxe, a perdu la liberté de l'esprit, car son âme est envahie par les fenêtres des yeux. La parole du prophète s'accomplit alors : « La mort est entrée par vos fenêtres. » Dès que par ces ouvertures l'ennemi pénètre dans la forteresse de notre âme, où se réfugie sa liberté ? Où, son courage ? Où, la pensée de Dieu ? Plus encore : l'imagination se dépeint les plaisirs passés, le souvenir d'actions perverses contraint l'esprit à s'y complaire, et à s'en rendre coupable lors même qu'il ne les commet pas. » C'est pourquoi de nombreux philosophes préfèrent s'éloigner de la turbulence des villes, et abandonner même ces jardins de plaisance où la fraîcheur des terrains arrosés, le feuillage des arbres, le gazouillis des oiseaux, les fontaines miroitantes, le murmure des ruisseaux et tant d'autres délices sollicitent le regard et l'oreille : ils craignent que le luxe ou l'abondance n'amolisse leur force d'âme et ne souille leur pureté. […]
Mes disciples agissaient de même. Ils édifiaient leurs cabanes sur les rives d'une petite rivière nommée l'Arduzon, et, par la vie qu'ils menaient, ressemblaient davantage à des ermites qu'à des étudiants. Plus leur affluence devenait considérable, plus l'existence à laquelle je les contraignais était dure, plus mes rivaux sentaient croître ma gloire, et leur propre honte. Ils avaient tout fait pour me nuire, et se plaignaient de tout voir tourner à mon avantage. Selon le mot commun de saint Jérôme et de Quintilien, la haine vint me relancer, loin des villes, des procès et des foules. Mes ennemis se plaignaient, et gémissaient en leur cœur. « Voici que le monde entier le suit, se disaient-ils. Nos persécutions ont été inutiles ; elles ont plutôt profité à sa gloire. Nous voulions étouffer son nom, nous l'avons fait resplendir. Des étudiants, qui ont sous la main, dans les villes, tout le nécessaire, dédaigneux des commodités urbaines, vont chercher les privations du désert et embrassent volontairement une vie misérable. »
Seule mon extrême pauvreté me poussa à ouvrir une école. Je n'avais pas la force de labourer la terre et je rougissais de mendier. A défaut de travail manuel, je dus avoir recours à l'art où j'étais expert : je me servis de la parole. Mes élèves pourvoyaient en revanche à mes besoins matériels : nourriture, vêtements, culture des champs, construction, de sorte que les soins domestiques ne me distrayaient aucunement de l'étude.
(éd. Babel 2008, trad. Paul Zumthor, p. 183)
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