AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Luniver


La presse se présente volontiers comme un contre-pouvoir, mettant son nez là ou les politiques et les industriels ne veulent pas que l'on regarde, à tel point que nombre de journalistes sont assassinés chaque année pour avoir dérangé les petites affaires d'un personnage un peu trop influent. Les mouvements populaires, d'un autre côté, voient plutôt les médias du côté du pouvoir : collabos pendant la seconde guerre mondiale, « laquais du capitalisme » en mai 68, et carrément pris à partie lors des premières manifestations des gilets jaunes. Comment réconcilier ces deux visions ?

Tout d'abord, les médias, déficitaires dans leur ensemble, sont maintenant largement dans les mains des grands groupes industriels. Comme l'a montré Chomsky, cela va naturellement orienter le ton général de la presse : les rédacteurs en chef seront choisis pour leur proximité avec les idées de leur patron, et vont choisir des subordonnés proches de leurs idées, qui vont à leur tour choisir des subordonnés proches de leurs idées, … et même si l'orientation politique peut se diluer quand on se rapproche de la base, on va avoir naturellement des journaux tous favorables au libéralisme et au mondialisme, et très sévères envers les mouvements sociaux qui entravent la compétitivité et envers les grèves qui empêchent les bons employés d'être productifs.

Conséquence intéressante, il semble à travers les différents témoignages présents dans ce livre, que les pigistes expérimentent le monde du travail rêvé par le libéralisme, en ne rémunérant que ce qui produit de la valeur pour le journal : ainsi, les pigistes sont payés à l'article, ils doivent avancer les frais de leur reportage eux-mêmes, avant d'essayer de le vendre à différents journaux en espérant se rembourser ; si l'article est accepté mais finalement pas publié, il ne sera payé qu'à la moitié de sa valeur ; ils sont rémunérés en droits d'auteur, un peu en noir, de façon à avoir peu de charges sociales à payer, ce qui les laisse avec très peu de droits une fois sans travail. On réalise facilement les dérives une fois qu'on sait que les candidats se bousculent à la porte des journaux, et que les places sont devenues chères : baisse drastique des rémunérations, impossibilité de formuler la moindre plainte sous peine d'être rayé des listes de collaborateurs, « aménagement » de son article pour coller le plus possible à la ligne d'un journal et augmenter ses chances de publication, … D'autres tendances sont assez inquiétantes, comme la porosité du monde du journalisme avec celui de la publicité ou du cinéma, qui fournit des meilleures rémunérations pour faire « la même chose », l'esprit d'investigation en moins (mais on peut se demander si on le retrouve facilement à force de faire des allers et retours entre les milieux).

Le livre est donc un peu déprimant, parce qu'on ne voit pas très bien comment les choses pourraient évoluer vers le mieux : la presse est de moins en moins rentable, les abonnements traditionnels se cassent la gueule, et le web n'est pas (encore) économiquement viable. On la voit donc mal se débarrasser de ses mauvaises influences à court ou moyen terme.

J'aurais tout de même apprécié quelques chiffres pour soutenir le propos, car les témoignages sont intéressants, mais ne permettent pas d'avoir une vue générale de la situation : combien de pigistes, combien de titulaires, combien de postes ouverts, et comment tout ça bouge dans le temps …

Le livre est également bien ancré à gauche, ce qui ne m'a pas dérangé plus que ça étant donné que la couleur (rouge, du coup) est clairement annoncée dès le départ. Mais si vous êtes allergique aux syndicats et au droit du travail, vous risquez quelques crises d'urticaire pendant la lecture.
Commenter  J’apprécie          140



Ont apprécié cette critique (13)voir plus




{* *}