Temps gelé

La mesure de ma jeunesse - le printemps de ma vie - , je l'ai partagé entre cet obscur sanctuaire intérieur et son cruel extérieur, semé des pièges de l'ennemi impitoyable. Les mâchoires souriantes à belles dents de l'ignorance et du préjugé étaient grandes ouvertes et j'étais leur proie malheureuse. Car elles guettaient à la maison et à la ville. Que ce soit la nuit ou le jour, les seules chosent qui émergent de mes années de croissance furent le claquement du piège et la cisaille du collet.

Lorsqu'il ouvrait ainsi le lourd battant du portail bardé de fer, l'obscurité muette se retirait d'un pas, reculait d'un empan vers l'intérieur pour se lover avec paresse dans le fond, parmi les pièces d'étoffes vierges où reposait la pénombre de tant de jours et de nuits révolus : rangée coupe sur coupe, elle s'estompait en tunnels et en voûtes profondes, prolongeant toujours ses mystérieuses errances pour finir, exténuée au cœur noir de l'arrière boutique où, lasse de se différencier et saturée d'elle-même, elle achevait de se dissoudre en une sourde et fantomatique quintessence de draps.