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Critique de peloignon


Dans cette thèse de doctorat qui fera connaître son auteur, Adorno aborde Kierkegaard en fonction de la « loi de la forme philosophique » qui « exige l'interprétation du réel dans la connexion concordante des concepts » (p,11). Cela ne revient pas seulement à éviter de partir de la lettre kierkegaardienne, mais correspond à lire Kierkegaard à l'inverse de la manière dont il se donne. Alors que pour Kierkegaard la subjectivité est la vérité, pour Adorno elle est plutôt volonté d'objectivité qui doit être mise en doute et critiquée.
L'existence n'est donc jamais prise en compte par Adorno, au profit du système (ou langage) de l'existence qu'il reconstruit à partir des écrits kierkegaardiens entièrement dans la réflexion, dans l'immanence de la pensée, de manière à pouvoir « le tenir dans le terrier de l'intériorité indéfiniment réfléchie »(p.25).
C'est ainsi que, pour prendre un exemple précis, sur le plan esthétique, alors qu'une lecture de Kierkegaard comme philosophe de l'exception montrera les idées esthétiques comme des passions subjectives pouvant être conditionnées différemment dans l'immédiat selon les époques, Adorno comprendra les appréciations subjectives kierkegaardiennes sur l'art comme des dogmes esthétiques, des « universalia post rem, obtenus par élimination des éléments historiques spécifiques » (p.40).
Pour prendre un autre exemple, alors que, pour Kierkegaard, l'existence vivante de l'exception, en travail au présent vers son idéal est le seul a priori qui soit digne d'être pris en considération, Adorno parle du sujet et de l'objet exclusivement dans l'histoire et en fait « la présupposition concrète du discours kierkegaardien sur l'existence humaine » (p.50). Il n'y a ainsi aucune transcendance possible pour Adorno, de sorte que la dialectique kierkegaardienne est un « mouvement que la subjectivité accomplit pour récupérer le « sens » à partir d'elle et en elle », dans « l'immanence de « l'intériorité » (p.54-55).
Ou encore, Adorno écrit que le « concept kierkegaardien d'existence ne coïncide pas avec la simple existence, mais avec une existence qui, dans son mouvement intérieur, s'empare d'un sens transcendant qui serait qualitativement différent de l'existence »(p.119). Par ce passage, Adorno distingue l'existence comme exception (liée à un sens transcendant) de l'existence comme subjectivité immédiate ou naturelle (la simple existence). Cette distinction est toutefois faite en parlant problématiquement d'un « concept », et Adorno d'ajouter que cette question se pose en fonction non pas « de l'existence pure et simple, mais comme question de l'existence historique »(p.119). La règle réduit ainsi l'exception à la seule vérité qui soit possible dans l'immanence de la pensée.
Bien qu'on ait montré l'insuffisance des traductions à partir desquelles Adorno a travaillé et l'importance des circonstances historiques particulières où son travail sur Kierkegaard a été conduit (voir Marcia Morgan, Adorno's Reception of Kierkegaard: 1929-1933, Søren Kierkegaard Newsletter, Number 43, septembre 2003, p.8-12), ce n'est pas l'incohérence qui en ressort pour moi, mais plutôt une formidable lecture de l'exception par la règle. Adorno conclut d'ailleurs en avouant que son projet critique consiste à cristalliser une ontologie « à partir de la philosophie de Kierkegaard, en contradiction avec l'intention dominante de celle-ci »(p.235).
Et cette contradiction n'est pas réconciliée, de sorte qu'elle nous laisse dans l'alternative entre, ou bien l'absence de l'exception dans l'immanence de la pensée médiatisée, ou bien la possibilité de l'exception, dans la vie présente, comme immédiateté seconde.
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