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Critique de JustAWord


Troisième roman de l'américain Rumaan Alam, le Monde après nous a propulsé son auteur sur le devant de la scène littéraire outre-Atlantique jusqu'à le voir figurer dans la liste des nominés pour le National Book Award en 2020. Écrit avant la pandémie de CoVid-19, le Monde après nous imagine une fin du monde particulièrement singulière et d'une prescience remarquable. Partons pour Long Island…

Des vacances ordinaires
Nous y retrouvons un couple de Blancs américains issus de la classe moyenne, Amanda et Clay, qui ont décidé de louer une maison au milieu de nul part grâce à la magie d'Airbnb. Accompagnés par leurs deux enfants, Archie et Rose, ils s'installent dans une propriété cossue à l'écart de la ville, avec une magnifique piscine, un large sous-sol aménagé et des bois emplis d'animaux sauvages fascinants. le temps est magnifique, les courses rapidement réglées, permettant même quelques folies pour l'occasion malgré un budget souvent largement dépassé. Patient, méthodique, Rumaan Alam nous fait pénétrer dans les pensées d'Amanda et de Clay, voire même des enfants. Amanda est « account director » dans une agence de publicité, Clay est professeur à l'université. Chacun est un reflet banal de la société américaine moderne avec ses médiocrités et ses vices, ses pensées borderlines (et un tantinet racistes) et ses pulsions à peine refoulées. Rien ici que du très ordinaire.
Mais en se levant après leur seconde nuit de vacances, voilà que les quatre vacanciers découvrent que la télé ne diffuse plus rien et que les téléphones ne captent plus l'internet. Pire encore, un couple de Noirs qu'ile ne connaissent pas vient sonner à la porte. Soupçonneux d'abord, Amanda et Clay comprennent que ces nouveaux venus sont en territoire familier puisqu'il s'agit des riches propriétaires de leur logement d'été : les Washington.
G.H et Ruth expliquent alors que le « black-out » n'est pas uniquement dû à la distance d'avec la ville mais que quelque chose semble avoir coupé toute communication/information à travers le pays. Pris de panique, les voici de retour de façon impromptue pour se mettre à l'abri…au cas où.
On assiste dès lors à la rencontre entre deux mondes que tout oppose, des seniors afro-Américains au porte-feuille bien garni d'un côté et une famille de Blancs issue d'une classe moyenne plus jeune et sensément plus vigoureux. Entre gens civilisés, tout devrait bien se passer.
Alors qu'une cohabitation précaire se met en place, un Bruit terrible retentit à l'extérieur et la tension monte encore d'un cran…

Pris dans l'ambre
N'allez pas croire que le Monde après nous emprunte les sentiers habituels du genre post-apocalyptique. On est plus proches dans l'esprit de Dans La Forêt de Jean Hegland, tout effet de manche ou twist impromptu retranché.
En réalité, le roman se veut le plus réaliste possible et va donc faire quelque chose d'assez risqué en termes narratifs : quasiment rien.
Rumaan Alam troque sa plume pour un scalpel et analyse avec une minutie incroyable l'état psychologique des deux couples en se promenant dans leurs pensées comme un papillon se poserait sur une branche. de fait, il ne se passe rien dans le récit ou presque. Et c'est en cela que la résultat apparaît brillant.
L'américain a l'intuition géniale que tous ces films et séries Hollywoodiennes qui montrent des apocalypses pyrotechniques et fortes en rebondissements ont tout faux, que pour le commun des mortels, l'apocalypse sera silencieuse et même douteuse. En effet, à l'écart des autres, Clay, Amanda, G.H et Ruth ignorent ce qu'il se passe vraiment dans le monde. Dépendant de l'information et, donc, de la communication en général, de l'internet aux smartphones en passant par la télévision, les personnages se retrouvent devant du vide et ne peuvent que se perdre en conjectures sur ce qu'il se passe. À un certain degré, tout devient irréel, comme si le monde avait été brutalement mis en pause et que nous étions pris dans l'ambre de cette Apocalypse qui n'a même jamais montré sa face hideuse.
Imaginez, une fin du monde où l'on reste chez soi à attendre que ça se passe. Difficile, après la pandémie, de donner tort à Rumaan Alam.
Pas de grand geste héroïque, pas d'évènement tragique ou d'explosion formidable, juste l'attente, le vide, quelques bruits affolants et des dents qui tombent…
Le Monde après nous expose l'humain pour ce qu'il est, une créature fragile devenue dépendante de son information, une information devenue pouvoir prédictif dans un univers où tout est connecté.
Dès lors que le reste tombe en rideau, et loin des idées de barbarie et de carnages, on se rassemble et on tente de survivre en groupe, en meute.
On remplit les baignoires, on fait le décompte des conserves. On s'occupe comme on peut, en baisant si nécessaire, retrouvant des instincts animaux, tantôt maternels tantôt charnels.
Pour une meilleure analogie, le roman de Rumaan Alam est au post-apocalyptique, ce qu'un film comme Jarhead est aux long-métrages sur la guerre. Au lieu de montrer les combats, on montre l'attente, l'ennui, bref, ce qui constitue en réalité 90% de ce que serait en réalité un conflit. L'auteur américain fait la même chose et ramène brutalement les pieds sur Terre à son lectorat. Les personnages ne savent pas ce qui se passe et seul le lecteur, par l'intermédiaire d'un narrateur omniscient qui vient s'immiscer dans la course du récit en fin d'ouvrage, sait que le monde touche à sa fin.
Dommage, tout le monde n'a pas eu le mémo et les questions restent en suspens pour nos héros d'une tragique banalité, d'une tragique ordinarité. Dans leur propriété observée par les cerfs qui migrent en masse ou traversée par des flamands roses un peu perdus, la fin du monde a eu lieu…et n'a pas encore eu lieu. Tout reste encore possible et tout semble à la fois parfaitement réglé. Alors on ressasse ses obsessions, ses peurs, ses aspirations. On rêve de retrouver une utilité et une fonction, on s'interroge sur comment revenir au réel et comment, au final, on en est arrivés là. Quand la masse informative se tait, quand le bruit de fond qui inonde la vie quotidienne s'arrête, il nous reste à composer avec nous-même dans un monde qui a retrouvé des dimensions insurmontables. le Monde après nous heurte le mur du vraisemblable et laisse dubitatif : alors c'est ça, la fin de notre société ?

Apocalypse incertaine dans un monde qui semble mis sur pause, le Monde après nous fait tomber le rideau sur notre société ultra-connectée, avouant la banalité de l'après et le retour à un réel d'une lenteur désarmante. Rumaan Alam a tout compris de notre siècle et des possibilités précaires de l'homme-numérique, qui finira par mourir dans une rame de métro bloquée en centre-ville ou à attendre de savoir si tout est bel et bien fini coupé des siens et du cours de l'Histoire.
Lien : https://justaword.fr/le-mond..
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