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Critique de Presence


Ce tome est le premier (et peut-être le dernier) d'une histoire indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2015/2016, écrits par Mark Millar, dessinés et encrés par Rafael Albuquerque, et mis en couleurs par Dave McCaig.

Dans une petite bourgade rurale du Maine, vit un individu à la carrure imposante, à la figure angélique, prénommé Huck. Il exerce les fonctions de pompiste à la station-service du coin. Cet individu dispose d'une force colossale, surhumaine même et il est capable de tout retrouver. Les habitants de la petite ville font en sorte que son existence reste la plus discrète possible, secrète même. de son côté, Huck n'a jamais connu sa mère. le seul souvenir qu'il possède d'elle est le petit mot qui était dans son panier d'osier quand il a été abandonné encore nourrisson sur le porche d'un gentil couple : aimez-le. Huck est d'une bonne nature, la bonté même. Son credo est d'accomplir une bonne action par jour : arracher une souche qui résiste à un tracteur (lundi), collecter les poubelles de toute la ville (mardi), acheter un repas pour chaque habitant (mercredi), etc.

Un jour, Diane Davis (une nouvelle arrivée) est obligé de freiner d'un coup sec, alors que Huck court à toute vitesse sur la route de nuit. Elle subodore alors qu'il n'est pas comme tout le monde Madame Taylor, une voisine, finit par la mettre au parfum en lui faisant jurer le secret pour le bien de Huck et de la communauté. Mas en voyant un reportage sur l'enlèvement de femmes commandités par Boko Haram, il décide d'intervenir au Cameroun. de son côté, Diane Davis ne tient pas sa langue, poussée par l'intérêt pécuniaire. Cela n'empêchera pas Huck d'accomplir sa bonne action quotidienne (en fait si, ça va le mettre un peu en retard), mais ça va surtout le rendre visible aux yeux d'individus très intéressés, à commencer par son frère Tom.

Comme pour chaque nouvelle série écrite par Mark Millar, celle-ci a bénéficié d'une bonne campagne promotionnelle avant coureuse, puis d'un excellent bouche-à-oreille au vu des premières pages mises à disposition sur les sites spécialisés. Enfin, Mark Millar allait donner sa version de Superman, écrit de manière novatrice et respectueuse (refrain déjà entendu à l'occasion de la parution de Superior du même Mark Millar, mais c'est une autre histoire). En plus, il a encore réussi à s'adjoindre les services d'un dessinateur très en vue : Rafael Albuquerque, ayant acquis sa notoriété sur la série American Vampire de Scott Snyder. Effectivement les premières pages parues pour promouvoir le titre, montre ce beau jeune homme à la forte carrure, aux cheveux blonds coupés courts effectuer une course spectaculaire et débarrassée de tout dialogue encombrant, sautant du toit d'une voiture sur un autre, puis courant à fond dans les rues de la ville désertes de nuit, puis à travers champ, puis sur le sommet d'une falaise dénudée, pour effectuer un magnifique plongeon dans l'océan. La séquence est visuellement superbe, avec une lisibilité optimale, et un sens de la vitesse qui fait honneur au personnage.

La suite du premier épisode s'avère tout aussi convaincante et sympathique sur le plan visuel. le dessinateur fait le nécessaire pour planter les décors d'une petite ville américaine afin de lui donner une consistance et une patine intemporel. le passage au Cameroun reste très vague sur les arrière-plans, mais Daive McCaig fait un excellent travail d'habillage des cases par les couleurs pour donner l'impression d'une jungle verdoyante. La dernière page du premier épisode se présente sous la forme d'un dessin pleine page, évoquant l'Amérique florissante et accueillante de Norman Rockwell. Les pages du deuxième épisode sont construites sur le même principe. Les scènes d'action sont spectaculaires, et mettent Huck en valeur, avec sa force et sa grâce, sans jouer sur la brutalité ou la violence. le saut sur le toit d'un train en mouvement est l'occasion d'admirer une construction métallique, et l'intervention dans le désert d'Afghanistan montre une cascade d'une rare vivacité, avec un sens du mouvement exceptionnel

Du début jusqu'à la fin, Rafael Abuquerque assure un spectacle impressionnant, plutôt bon enfant. Il prend soin de planter le décor en début de chaque séquence, et Huck bénéficie d'une incroyable présence visuelle chaque fois qu'il apparaît. le dessinateur le représente souvent en train de sourire, d'un sourire franc, sans malice et sans arrière-pensée. Les autres personnages sont tout aussi vivants. L'aspect sinistre du professeur Orlov est un peu appuyé pour faire comprendre qu'il est le méchant de l'histoire. le sourire de Tom est presqu'aussi radieux que celui de son frère. Les dames sont menues et pleine d'allant, sans aucune exagération de leur sexualité. de page de page, le lecteur se dit qu'il voit le monde par les yeux de Huck, avec son émerveillement, sa simplicité et son plaisir de vivre et d'accomplir des bonnes actions. Il remarque aussi qu'Albuquerque a tendance à s'exonérer de dessiner les arrière-plans plus souvent au fur et à mesure des épisodes, ce qui rompt parfois le charme de l'immersion.

L'artiste a donc parfaitement su adapter sa façon de dessiner pour être en harmonie avec l'état d'esprit de ce jeune homme simple, voire un peu simplet au dire de certains personnages. Il représente sans difficulté toutes les choses les plus saugrenues prévues par le scénario : d'une pompe à essence vieux modèle semblant dater des années 1950, à un bleu de travail semblant provenir de la même époque, en passant une girafe, un méchant terroriste enturbanné voulant décapiter son prisonnier, ou un groupe de canards en train de traverser une autoroute. de fait, d'épisode en épisode, Mark Millar donne l'impression de brosser son lectorat américain dans le sens du poil. le récit permet de visiter quelques endroits des États-Unis : une ville du Maine, une maison un peu à l'écart dans le Vermont, ou encore un diner en Caroline du Nord. En listant les autres lieux visités, le lecteur note qu'il s'agit de pays ennemis des États-Unis ou de zones de conflits : l'Afghanistan, la Sibérie, le Cameroun. le scénariste semble tout faire pour flatter l'américain moyen en lui montrant son beau pays, et en faisant intervenir un beau jeune blond athlétique pour régler les problèmes dans des zones où les États-Unis se verraient bien en police mondiale, voire même en redresseur de torts.

D'un côté, il faut reconnaître à Mark Millar d'avoir imaginé un personnage irrésistible. Huck est un bon samaritain, sans rien de calculateur, dont les bonnes actions réchauffent le coeur : retrouver des personnes disparues, sauver des gens prisonniers d'une inondation, offrir des fleurs, retrouver un chaton disparu et le ramener à sa mère Anna Kozar. le récit est lui aussi en phase avec son protagoniste principal : bon enfant. L'auteur évoque une Amérique fantasmée, intemporelle, avec des individus prenant soin les uns des autres. Il proscrit ses provocations trash habituelles, et il reste premier degré du début jusqu'à la fin. D'un autre côté, le lecteur européen tique un peu devant cette apologie décomplexée d'une Amérique saine et vertueuse. Il tique encore plus quand, en toute mauvaise foi, Millar la fait paraître encore plus saine, en l'opposant à l'Afghanistan, à Boko Haram, ou encore aux pratiques d'emprisonnement en Sibérie. Comme souvent, Millar conçoit son récit sur mesure pour plaire à son lectorat cible par la flagornerie. Sans le dire explicitement, il vante les mérites d'un américain bon teint, sain de corps et d'esprit, qui célèbre les vertus de l'American Way of Life, voire qui présente sous son meilleur jour sa position de grand frère des autres nations de la planète. La narration premier degré du récit rend impossible d'y voir la moindre ironie, de soupçonner le moindre début de caricature.

La lecture de ce tome est très rapide, et très agréable, mais le point de vue sous-jacent la rend un peu aigre. L'intrigue est bien menée et rapide, avec une mise en place astucieuse. La deuxième partie oppose les bons aux méchants, d'une manière manichéenne, qui sous-entend que jamais les États-Unis ne se rendraient coupables des mêmes exactions que les russes (ça fait quand même un bout de temps que la Russie est entrée dans le capitalisme…). La méthode employée pour que Huck reprenne le dessus sur ses adversaires fait immédiatement penser aux personnages de Chris Claremont trouvant des ressources d'énergie insoupçonnables en eux, parce que quand on veut on peut, et parce que les héros ont le bon droit de leur côté. La fin permet de retrouver un statu quo douillet.

Cette histoire de superhéros sympathique et simple n'est pas pire qu'une histoire de superhéros Marvel ou DC et elle bénéficie d'une narration visuelle supérieure à la moyenne. Néanmoins un lecteur adulte a du mal à adhérer au produit qui lui est vendu. Pour commencer, Rafael Albuquerque prend quelques raccourcis graphiques pour terminer en temps et en heure (absence de décors de manière trop voyante). Ensuite, Mark Millar est malhonnête du début jusqu'à la fin. Il fait mine de proposer un héros au coeur pur, ayant grandi selon les principes d'une morale judéo-chrétienne, en individu désintéressé et altruiste. Mais dans le même temps, il fabrique de toute pièce un récit cousu main pour un lectorat, en flattant ses instincts patriotiques basiques, sans réflexion, sans recul, dans une démarche mercantile qui avance à visage découvert. La dissonance cognitive qui naît de ces 2 dimensions ne permet pas au lecteur d'être satisfait de sa lecture psychotique.
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