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Critique de Levant


Levant
20 décembre 2020
Voilà un ouvrage que j'aurais du mal à qualifier de chef-d'oeuvre en termes de production littéraire. Il n'est jamais que la compilation de témoignages de guerre. Ce qui le rehausse toutefois à cette distinction est l'initiative de donner la parole à celles qui n'avaient pas accepté que la défense de leur pays agressé par l'Allemagne nazie reste un privilège masculin. La guerre n'a pas un visage de femme est bien le récit de la guerre au féminin.

En allant à leur rencontre 40 ans après une victoire si chèrement acquise, Svetlana Alexievitch veut faire éclater aux yeux de tous le mérite qu'ont eu ces femmes russes à s'impliquer volontairement dans un conflit dont on connaît trop le lot d'horreurs qu'il a comporté. Mérite d'autant plus grand que ces héroïnes cumulaient les handicaps propres à leur condition de femme intervenant dans l'univers misogyne de l'épopée guerrière. Rien n'a pourtant retenu leur détermination, pas plus les conditions matérielles et physiques que psychologiques, que les difficultés relatives à l'hygiène, la peur de la mort, ou encore leur irruption dans la promiscuité de mâles ensauvagés par la guerre.

Ce qui surprend c'est l'âge de celles qui se sont portées volontaires pour monter en première ligne. Un nombre considérable d'entre elles à avoir accepté de témoigner sortaient tout juste de l'adolescence. Certaines trichaient même sur leur âge dès 16, 17 ans pour se faire incorporer. Des coeurs tendres qui échappaient à leur mère se livraient aux fauves.

Comme d'habitude, elles devaient se montrer plus fortes que les hommes pour endurer souffrances et privations et assumer leur engagement sans se faire reprocher leur intervention dans le monde typiquement masculin qu'est le théâtre des opérations. Elles devaient faire plus que les hommes pour prouver qu'elles valaient autant. Dans les postes à responsabilité de commandement, elles devaient faire la preuve de leur courage et compétence avant de faire autorité.

Leur endurance et leur influence sur le comportement des troupes relèvent du grand mystère féminin. Cette aura méprisée quand tout va bien et qui sublime la personne dans la difficulté. Ce mystère est celui de la relation de la mère à l'enfant. Celle qui met au monde, nourrit, soigne, protège et console. Aussi fort a-t-il été, un homme à l'agonie redevient un enfant.

Plus surprenant encore, celles dont les moribonds imploraient le secours et le soutien moral devaient, une fois la paix revenue, passer sous silence leur héroïsme au risque de passer pour des hommes manqués ou des filles à soldat et perdre du coup leur statut de femme respectable. de cette guerre les hommes rentraient plus hommes et les femmes moins femmes.

Il faut avoir, selon l'expression consacrée, le coeur bien accroché pour lire pareil ouvrage. Chaque témoignage relate des atrocités. L'ouvrage est certes tendancieux et glorifie l'action des troupes du pays agressé allant jusqu'à faire valoir les soins apportés aux blessés ennemis. Mais s'agissant de la réaction à l'invasion d'un pays par les troupes nazies, on aura du mal trouver le contre poids en action humanitaire.

Un ouvrage édifiant qui permet de relativiser les maux que l'on peut reprocher à notre époque contemporaine, même lorsque cette dernière freine nos ardeurs dans la jouissance d'une liberté si chèrement payée par nos anciens. le grand bienfait de pareille initiative est avant tout de corriger l'appropriation de la gloire par une gente exclusivement masculine. Ce n'est que justice. Voilà en quoi se détermine le chef-d'oeuvre.
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