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Critique de Ambages


« Et la nuit et le jour ne font qu'un, et le coeur lui-même est une pendule, figée sur une heure morte et froide. »

Je suis tellement contente d'avoir rencontré Frankie Machine dit la Distribe, le Piaf, Zosh, Molly-eu et les autres qui comptent tous autant dans cette histoire, entre deux Noël presque trois juste après la seconde guerre mondiale à Chicago, dans Division Street, un quartier où beaucoup d'immigrés polonais vivent de la débrouille. C'est un roman magnifique, énorme coup de coeur.

« Vivants malchanceux, bientôt malchanceux morts. »

Magnifique parce que tous les personnages sont fouillés dans les plus petits détails de leurs âmes chevrotantes, leurs vies misérables.

Magnifique parce que le décor urbain suit les saisons et clignote d'ombres, même l'été il y fait sombre.

Magnifique parce que ça parle une langue qui peut sembler étrange mais qui m'est familière, ou plutôt m'était. Les arpions avaient pour moi la même valeur que les orteils, qui ont la même valeur que des doigts de pieds pour beaucoup. J'ai été élevée dans cette langue et j'ai eu un tel plaisir à la retrouver, sans jugement de valeur. Je l'avais oubliée parce qu'après l'adolescence, on se rend compte qu'il faut avoir un langage qui exclut l'argot, parce que très vite on vous fait comprendre d'où vous venez, si vous la maniez aisément sans montrer qu'elle est « en-dessous », sans le sourcil qui dit « t'as vu j'utilise un mot d'en-bas^^ ».

Alors ce livre de Nelson Algren traduit par Boris Vian, c'est une plongée dans un univers oublié. Et avec la magie de l'écriture de Vian, j'ai pris en pleine poire ma honte. Jusque récemment encore je repasssais derrière ma mère pour que ses petits enfants comprennent le mot qu'elle venait de dire mais surtout pour qu'ils ne l'utilisent pas. Bien évidemment ma honte se cachait sous les atours de l'éducation « vois-tu ce mot signifie… mais il vaut mieux ne pas l'utiliser… » parce que j'en avais probablement souffert dans le regard des autres, à un moment. Et je transmettais cette honte accrochée à mon passé, à mes enfants. Quelle honte ! oui j'ai honte car c'est mon passé et pas mon passif. C'est une chance d'avoir aussi ce paquetage. Je l'ai tellement compris avec cette lecture.

« Frankie, si on cessait de se crucifier tous les deux ? » Donc si vous n'avez pas ce bagage argotique, vous allez trimez et ouvrir des quinquets, mon Vieux j'vous dis pas. Mais si vous y allez vous serez tellement gagnant car ce roman c'est de la bonne came, et au détour vous y verrez de la poésie qui sourd de ces mots.

« Ce n'était que la vieille femme du vent, de l'autre côté de la vitre, qui s'entortillait dans les feuilles grises de la pluie. »

Et puis ce roman c'est beau. Tout simplement beau. La beauté des déshérités qui se battent pour y croire au flush qui vient, « car les cartes tenaient au large l'éternelle obscurité », qu'une distribe enfin s'annonce au clair de lune empapilloté de milles petites joies et que les gouttes de pluie éclairent les rues d'un scintillement gris-diamant.

Et avec les brèmes c'est l'alcool qui soutient « car tout au fond du faux-cul de verre d'un bon double, tout finirait par aller bien. » Mais de petits turbins qui nourrissent pas, aux larcins y a pas loin, surtout quand la bibine coule, voire même « Mac Gantic le Frénétique » qui se pointe, ça vous enfouraille. En dedans autant qu'en dehors. « Pas de sortie au cul-de-sac de la déveine. Pas d'évasion derrière les barreaux bleu acier de la culpabilité. »

J'ai pas raconté l'histoire ?! mais c'est un drame ! Ciselé, fignolé, rien n'est oublié, tout est dit. Magnifique.

‘tain, il est bon Algren. Vraiment mérité son National Book Award pour L'homme au bras d'or. Quand je pense qu'il est mort dans l'oubli et sans tune…

« Il rit encore du rire le plus gai et le plus argentin pour voiler l'énorme désespoir gris du monde. » J'voudrais bien moi aussi…
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