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Critique de Agathethebook


« Elle était de ces gens qui détruisent tout et appellent ça de l'art. »
Paul est alors étudiant. Enfant de l'immigration, n'ayant que peu de moyens, il travaille à l'hôtel Elisse pour financer ses études d'architecture. Dans cet hôtel réside l'héritière, Amélia Dehr, jeune femme à la chevelure rousse incandescente, chambre 313. Son père fortuné ne s'occupe plus d'elle depuis longtemps, depuis que Nadia sa mère les a abandonnés, lorsqu'Amélia avait dix ans. Nadia avait une mission sur terre, celle de faire de la poésie documentaire, elle est repartie à Sarajevo, se frotter à la guerre, et sans doute y mourir.

Paul et Amélia s'aiment alors passionnément. Ils partagent le même déracinement, le même cours d'architecture aussi, celui d'Albers, femme androgyne qui a connu la mère d'Amélia. Albers est une femme intelligente et visionnaire, qui suivra les protagonistes pendant presque tout le récit. Avant leur liaison, Paul est en compétition avec Amélia, jaloux de la connivence qu'elle entretient avec cette professeure qu'il admire.
Paul est fasciné par Amélia, parce qu'ils ne sont pas du même milieu, mais aussi par tout ce qu'elle lui apprend, par sa vision du monde. Il n'y a désormais plus qu'elle qui compte: « Paul vécut son premier amour comme une détresse, un deuil aigu de tout ce dont il avait ignoré l'existence ».

Et puis un jour Amélia s'en va. Elle l'abandonne, ne sait pas aimer. Partir parfois, semble être bien pire que mourir. L'être quitté ne peut s'empêcher d'espérer chaque jour de revoir l'être aimé; l'enfant abandonné cherche désespérément un fantôme qui n'existe pas.
Pourquoi Amélia est-elle partie ?
« J'avais autre chose à faire que d'être amoureuse. Etre amoureuse, c'est une façon de ne pas vivre. »
Amélia ne peut se remettre de l'abandon maternel. Comment s'en remettre d'ailleurs, comment peut-on transmettre l'amour que l'on n'a pas reçu? Comment avancer ? Mais Amélia ne retrouvera pas sa mère. C'est sur cet échec qu'elle va revenir dans la vie de Paul.
« Avant de retrouver ma mère et d'échouer, dit Amélia, je n'avais pas compris à quel point tout est relatif. A quel point on peut être à la fois vivante et morte. »
La guerre, Amélia ne l'a pas connue et pourtant tout la pousse à retourner sur ses traces, à enquêter le passé, à sonder ce qu'on ne lui a pas dit et qu'elle sait au fond d'elle. Retrouver des témoins, là bas, à Sarajevo. « La ville était leur mère. La guerre était leur mère. »
Paul voudrait cadrer Amélia, la rendre heureuse, achète un appartement pour la regarder déambuler à l'intérieur, pieds nus, seulement vêtue de sa chemise à lui. Mais elle semble toujours ailleurs, elle est pire qu'insatisfaite, Amélia semble satisfaite de tout, donc jamais heureuse de rien. Elle ne fait que disparaitre sans prévenir, et réapparaître sans prévenir aussi. Paul n'en peut plus. Commence alors la partie la plus difficile de leur amour, celle qui consiste à construire là où le meilleur est terminé.

Dans cette succession d'amours et d'abandons, on cherche au plus près la vérité, la lumière dans l'obscurité de la nuit. Faut-il répéter l'histoire pour la reconstruire ?
« Paul l'avait aimée et il n'avait aimée qu'elle, et même lorsqu'il disait ne pas l'aimer, lorsqu'il ne voulait pas l'aimer, il l'aimait encore. Elle était le coeur qui battait dans sa poitrine, ce coeur puissant, en apparence infatigable, quand elle, Amélia, était si fatiguée.»

Mon avis
Ce livre est sublime. Un des seuls de 2017 que je pourrais relire sans problème. Ces mots me paraissent même dérisoires face à l'émotion qu'a suscitée ma lecture. Je peux relire la dernière page de ce livre à l'infini et pleurer autant à chaque fois, c'est l'histoire d'un amour tragique et magnifique, mais pas seulement.
Déjà, l'auteur a une façon d'aborder les thématiques comme vous ne l'avez jamais lu ailleurs. Ultra poétique, métaphorique, les grandes phrases vous envoûtent dans des rouleaux de vagues infinies pour un style narratif hors du commun. Vous commencez par être aspiré par son flux, en emmagasinez les tensions, les sous-entendus, pour au final exploser d'émotions au fur et à mesure du roman.
Ces longues phrases vous demandent également du temps, exigent d'être relues parfois, pour en saisir tout le rythme, l'intensité, pour en comprendre les messages cachés, c'est une lecture qui demande du calme, la nuit, le silence, l'obscurité.
« Il faudrait rendre son obscurité à la nuit. » le roman regorge de phrases de ce genre, entre réflexions urbaines (y-a-t-il trop de lampadaires?) et philosophiques : rendre l'obscurité à la nuit, peut-on seulement arrêter la lumière, arrêter d'être éclairé en somme, faut-il cesser d'être aveuglé pour mieux y voir?
C'est peut-être en cela que ce roman est si plaisant, comme il requiert du temps, et du calme, de la patience, il nous permet une petite pause dans notre vie, un souffle, un apaisement.
Le thème de l'abandon suit tout le roman : Nadia abandonne sa fille, Amélia sa famille, pourquoi tout quitter? Ces femmes partent et pourtant on continue de les aimer, de les attendre, Paul aimera profondément Amélia toute sa vie, même dans l'absence. Ici, l'amour dépasse la présence, les mots, c'est un amour impossible à vivre et donc à oublier.
Ce roman nous parle de la ville, de son commencement et de sa fin, l'auteur a été profondément marquée par la guerre civile en Bosnie, mais le livre ne se veut absolument pas être un document, on n'y apprend rien, ce n'est pas le but ici, plutôt la reconstruction des êtres, leur impossibilité. Tout y est flou, abstrait, ou essentiel. Les êtres qui circulent dans le roman sont habités ou devenus à moitié fous d'épuisement, d'attendre, de comprendre. Tout le monde veut fuir mais comme le répète l'auteur à maintes reprises dans le récit, comme un refrain tragique :

"Et si le monde est grand, on ne peut pour autant en sortir."
Lien : https://agathethebook.com/20..
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