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Critique de soeurcierelitteraire


TW : TRANSPHOBIE, HOMOPHOBIE

Note : lorsque j'emploie des guillemets, j'utilise les termes problématiques du livre

Rayyane est un jeune homme assigné fille à la naissance. L'univers des garçons lui a toujours davantage parlé que celui des filles. À l'adolescence, ses règles tardent à arriver et des examens médicaux révèlent que Rayyane n'a ni utérus ni ovaires. Si la société le perçoit comme une fille, il est « diagnostiqué » (!) comme « génétiquement homme » et entame une hormonothérapie. Sa famille peine à le soutenir dans sa transition, certains membres le rejettent même complètement.

Il ne s'agit pas d'un récit own voice (écrit par une personne concernée) mais j'ai fait le choix de le lire pour plusieurs raisons :

- L'auteur, Taleb Alrefai, est Koweïtien. En francophonie, nous avons peu accès à la littérature du Koweït et j'espérais avoir un aperçu de la société de ce pays par une personne qui y est née et y a vécu.

- Surtout, le récit est présenté comme basé sur une histoire vraie. Et il est compliqué pour les personnes transgenres de se faire publier dans certains pays (c'est peut-être là le seul point intéressant soulevé par ce livre, à la toute fin). Après lecture, je m'interroge. de qui parle ce livre ? Est-ce seulement vrai ? Il n'y a aucun avant-propos, aucune note, aucune information sur le site de l'éditeur, aucune interview de l'auteur qui parle du processus d'écriture. C'est vraiment louche.

Quel est le problème avec ce livre ? (Ou plutôt : pourquoi ce livre est un problème ?) Tout d'abord, Taleb Alrefai semble n'avoir fait aucune recherche avant d'entamer l'écriture de ce roman. En effet, il y a grande confusion entre :

- personnes intersexes et personnes transgenres (nommées transexuelles)
- plus grave encore, entre transidentité et maladie !

L'identité de Rayyane est en effet assimilée à une maladie, dans ce cas précis une « malformation » causée par la consanguinité (ses parents sont cousins).

Ce roman alimente les conceptions, transphobes et homophobes, toxiques, dangereuses et erronées selon lesquelles :

- les personnes transgenres sont malades
- les personnes intersexes doivent être assignées à un sexe ou l'autre à travers la chirurgie
- l'homosexualité se soigne à travers une chirurgie de réassignation sexuelle. En effet, Rayyane ne ressent du désir sexuel pour les femmes qu'après avoir été « diagnostiqué » (!) homme et avoir été opéré du torse et des parties génitales (ce désir est extrêmement soudain, disproportionné et très orienté "male gaze")

Le roman est-il subversif et suis-je tout à fait passée à côté ? J'en doute sérieusement.

Ces idées ne sont pas inculquées à Rayyane par sa famille et la société. Elles proviennent de recherches sur Internet et de consultations médicales. Et surtout, Rayyane semble en tirer du soulagement : il n'est pas un « scandale » ou la « honte » de sa famille puisqu'il n'est « pas homosexuel » ou en train de faire un « caprice de jeunesse ». Il est malade au même titre que son neveu qui souffre d'une malformation cardiaque. Ceci semble également être la condition du soutien de sa mère : elle soutient son fils car il est malade.

Ce qui est paradoxal, c'est que le roman est extrêmement critique envers le fondamentalisme religieux et même tout simplement envers la religion musulmane. Il y a d'ailleurs des passages très, très limites, dont un tout simplement islamophobe qui assimile le port du hijab à de l'extrémisme religieux. de plus, tout au long du livre, son amie Jawa et sa mère, Américaines, sont érigées en sauveuses. En témoigne ce passage absurde dans lequel Rayyane loue leur tolérance qui serait génétique (!) :

« Est-ce que ce sont les gènes de sa mère qui conduisent sa langue, sa façon de penser et son comportement ? Ou bien était-ce l'éducation ? »

Ce sont elles qui encouragent Rayyane à consulter un médecin, ce sont elles qui le poussent à continuer ses études, c'est chez elles que le jeune homme se réfugie quand sa famille le rejette... Bref, de vraies héroïnes alors que la famille musulmane pratiquante de Rayyane baigne dans l'obscurantisme.

Pourtant, en assimilant la transidentité, l'intersexuation et l'homosexualité à des maladies, le roman alimente ce qu'il pourrait dénoncer... le problème n'est donc pas à situer dans la religion mais dans une transphobie et une homophobie profondément intégrées dans toutes les cultures, peu importe la confession, à tous les niveaux d'éducation, et justifiées par tout et n'importe quoi. Alors que Taleb Alrefai aurait pu évoquer les spécificités socio-culturelles de la transphobie au Koweït et le danger de mort qui plane sur les personnes transgenres qui y vivent, il se vautre complètement.

Pour ne rien arranger, même si au vu de tout ce que je viens dénoncer cela vous paraîtra sans doute dérisoire, j'ai trouvé le roman extrêmement mal écrit. Je ne comprends pas comment il a pu être édité chez Actes Sud. Taleb Alrefai use et abuse des points d'exclamation, les dialogues sont irréalistes, voire franchement absurdes. le roman se répète toutes les cinq pages, les images invoquées par l'auteur sont vraiment mauvaises (j'ai éclaté de rire à la lecture d'un passage dans lequel les assiettes sur la table sont « émues »).

En résumé, ce livre est mauvais à tous les niveaux. Il est mal écrit et mal construit et propage des informations mensongères. Il n'a rien de subversif et rien n'éclaire le contexte de sa création.

Surtout, ce livre est dangereux car il est transphobe et homophobe. Je m'interroge sur ce qui a pu décider à le publier dans un label aussi prestigieux que Sindbad chez Actes Sud. La confiance que j'avais en cette maison d'édition est brisée.
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