Pauvre Blanc

La femme à la fenêtre , comme tous les habitants du Middle West, commençait à se rendre compte des conséquences qu'entraînait l'aventure industrielle (..) Comme tous les citoyens d'Amérique, elle croyait aux héros. Dans les livres, des périodiques, elle avait lu des récits sur des hommes héroïques qui s'étaient sortis de la misère par quelques étrange alchimie alliant à leur forte personnalité toutes les vertus. Un pays vaste et immense come le leur n'exigeait-il pas des figures immenses? Lincoln, Grant, Garfield, Sherman, une demi-douzaine d'autres firent figure en quelque sorte de plus qu'humains dans l'esprit de générations qui succédèrent immédiatement à leurs exploits hors du commun. Et maintenant c'est l'industrie qui inventait une nouvelle race de demi-dieux.

Les hommes attendent une certaine chose des femmes. Une chose fragile et facile à détruire. Car l'amour est la chose la plus délicate du monde. C'est comme une orchidée. Et les hommes essaient de cueillir les orchidées avec des tenailles. Les imbéciles !(P. 154)

Dans toutes les villes du Middle West américain, c'était alors une période d'attente. Le pays ayant été défriché les Indiens repoussés dans une vaste région reculée vaguement désignée comme l'Ouest lointain, la guerre de Sécession livrée puis gagnée, il n'y avait plus de grand problème national touchant de près la vie des citoyens et les hommes se replièrent sur eux-mêmes. Dans les lieux publics, on se mit à parler ouvertement de l'âme et de son devenir (P. 42)

Elle réalisa avec un frisson que les hommes comme son oncle, dont l'existence consiste à aligner des rangées de chiffres ou à accomplir inlassablement une tâche terriblement vaine, ne voient en leur femme qu'une créature auprès d'eux, physiquement attachée à leur service, et parfois sans doute assez bien vêtue pour les aider à étaler prospérité et réussite, et finissant dans une stupide résignation due à leur étroitesse d'esprit - une résignation contre laquelle tous deux, elle et le jeune homme passionné, retors, s'insurgeaient. (P. 151)

Croyez-moi, il va y avoir une nouvelle guerre ici, déclarait-il. Ce ne sera pas comme pendant la guerre de Sécession une simple histoire de fusillades et de massacres. Ce sera d'abord une lutte entre les individus afin que soit déterminée à quelle classe chacun doit appartenir, puis suivra une longue épreuve silencieuse entre les classes, entre ceux qui possèdent et ceux qui n'ont rien. Ce sera le conflit le plus effroyable de tous.(P. 47)

Vois-tu, le mariage, commença-t-il, est une chose que je n'ai jamais connue. Je ne me suis jamais marié. Je ne sais pas pourquoi. J'en avais envie, mais cela ne s'est pas fait. Peut-être ai-je eu peur de faire ma demande. J'imagine que si on le fait, on regrette de l'avoir fait et que si on ne le fait pas, on regrette de ne pas l'avoir fait.

:A l'intérieur de ce cercle immatériel, sous cette immense toiture, chacun connaissait son voisin et en était connu de même. Les étrangers n'y pénétraient pas. Et nul grondement perturbant et continu de machine ne s'y faisait entendre, pas plus que les rumeurs de quelque nouveau projet. À cette époque-là, l'humanité semblait disposée à prendre le temps d'essayer de se mieux connaître.

Hugh surveillait le monde qui, emporté par un courant, défilait devant lui, et il frissonna, en proie à cette peur sans nom de la multitude, propre aux enfants de la campagne perdus dans les villes.

Le simple fait du déplacement était un acte pénible ; quelque chose qu'il n'avait pas envie de faire. Tous les mouvements, tous les gestes physiques représentaient des moments éprouvants, mais nécessaires, d'un entraînement auquel il se soumettait en prévision d'un avenir flou, cependant glorieux et qui serait un jour le sien dans un pays plus riant, plus beau, situé vers ce qu'il pensait vaguement être l'est.

En aménageant l'espace pour une société moderne, aux idées plus larges, dans laquelle des hommes devaient un jour naître, en étendant l'invisible toiture des villes et des cités afin d'en recouvrir le monde, les hommes se taillèrent un chemin, piétinant les cadavres de leurs semblables.