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Critique de afriqueah


Christine Angot dans un style journalistique, informatif, cherchant la succession des évènements, s'attachant aux détails du premier diner avec son père qui n'a pas voulu la reconnaitre, de sa première rencontre remplie de fierté, finit par lâcher :
« Il m'a embrassée sur la bouche ».
Inceste, c'est le mot qu'elle met, bien que n'ayant que treize ans.
Il lui écrit qu'il l'adore, elle répond, portée par le fait qu'elle l'admire infiniment (il parle entre vingt et trente langues, il travaille au Conseil de l'Europe).
Et qu'il l'a reconnue.
Même si la logique temporelle est parfois brouillée, les sentiments de Christine, entre l'admiration et la peur, peuvent essayer de discerner : «  Gérardmer, la bouche. le Touquet, le vagin. L'Isère, l'anus. La fellation, c'est venu tôt. »
Et être à distance d'elle-même, ne plus penser, se surveiller en permanence, franchir, ou plutôt se voir franchir les limites en niant chaque fois les gestes, se forger « une forteresse à l'intérieur de laquelle ce qui existait n'existait pas. »
Est-ce une relation père-fille normale ? Christine essaie de se persuader que si, mais elle sait bien que non, qu'elle se ment à elle-même, or le déni l'aide à survivre, à continuer à vouloir se faire reconnaitre par son père.
Sa mère, qui était tombée raide dingue de lui, et qui pourtant avait dû affronter le fait d'accoucher seule, se sent à l'écart, à juste titre : elle est moins intéressante que le père, ils vont aller diner au restaurant sans elle qui a préparé le diner.
Voilà, il a gagné, même si c'est une pauvre victoire : ce duo mère -fille fusionnel connait des turbulences, d'autant plus graves qu'elles ne peuvent en parler, elle des gestes qui lui plombent la tête, la mère de son complexe de classe sur lequel il joue allègrement.
Comment faire pour contourner la réalité, la distordre ?
Comment faire le tri entre la manipulation, évidente, et les sentiments ?
Après la lecture de Triste Tigre, pour laquelle je n'avais pas vraiment énoncé tous mes doutes, le Voyage dans l'Est me semble finalement plus près de ce que c'est pour une petite fille de se faire inclure, pas à pas, dans un inceste.
Émouvant, par sa sincérité, par sa manière de ne pas charger unilatéralement le père, puisqu'elle repart vers l'Est pour le retrouver, des années après, Christine Angot nous livre ses errances, sa perdition, sa honte, son anorexie, ses insomnies, perd confiance en elle, se méprise, ne termine aucune étude, se sent morte, anesthésiée, fait une psychanalyse, pour comprendre pourquoi elle recherche des rapports normaux avec son père, qui , lui, veut au contraire enfreindre les lois, sauf celle du plus fort.
Le pouvoir ultime du patriarcat.
Le pouvoir de celui qui viole le tabou universel de l'inceste, celui qui fonde toutes les civilisations, en les faisant émerger de la sauvagerie.
Cela, en foulant aux pieds la filiation.
Autant le personnage médiatique de Christine Angot, provoquant scandale sur scandale, m'a toujours paru détestable, autant j'ai aimé la sincérité de ce voyage, et sa conclusion : peut-on faire tellement de mal à l'être aimé ?
Comment survivre, et surtout comment comprendre ce qu'est d'avoir été asservie, mise en esclavage, chosifiée par celui en qui elle avait placé toute sa confiance ?
Notons aussi que Christine Angot n'a pas porté plainte contre son père, qui pousse la perversité jusqu'à lui intimer d'écrire «  sur ça », car « c'est une expérience que tout le monde ne vit pas. »
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