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Critique de Pris


Jusqu'au 8 octobre 2023 se tient au Musée Historique Lausanne une exposition dont cet ouvrage veut garder la trace. le traité de Lausanne est celui qui met fin à la Première Guerre Mondiale. Pour les Français cette guerre commence en 1914 et se termine en 1918 (on peut pousser jusqu'à juin 1919 avec le traité de Versailles) alors qu'elle commence dans les Balkans dès 1912 pour se terminer à Lausanne en 1923. Les limites d'une guerre sont toujours beaucoup plus floues que ce qu'on aime croire. Comme les frontières, d'ailleurs.
L'exposition et le livre font d'abord état des bonnes relations entre la Suisse et l'empire ottoman (le chemin de fer d'Anatolie ne s'est pas construit tout seul n'est-ce pas) et aussi des bonnes relations que la Confédération helvétique souhaite mettre en place avec la future république turque.
Lausanne, 70000 habitants en 1923, est la dernière étape pour mettre en place un nouvel ordre mondial, qui permettra dès le mois d'octobre suivant la naissance d'un tout nouvel Etat -nation, la Turquie.
Les documents exposés évoquent donc la ville à cette époque, les divers représentants qui s'y sont rendus, les témoignages des journalistes : Hemingway est le plus célèbre mais la plus intéressante, à mon sens, est la cousine de Churchill, Clare Sheridan, qui évoque les réfugiés. En effet, le traité de Lausanne légitime l'épuration ethnique et les "échanges" de population; la Turquie perd son caractère multiculturel et "renvoie" 1,6 millions de Grecs chez "eux" et 385 000 musulmans (quelle que soit leur ethnie) sont envoyés en terre turque. Avec un coût humain élevé. le droit à l'autodétermination des Kurdes, Arméniens, Alévis etc. est balayé sous le tapis, quand bien même le traité leur garantit que les minorités et leurs droits seront respectés. Ben voyons. La Turquie (mais aussi la Pologne, cf. Retour à Lemberg de Philippe Sands) s'assoira allègrement dessus. le génocide arménien est amnistié. Lausanne, ou la victoire de l'Etat-nation.
L'intitulé de l'exposition "Frontières" n'est pas trop développé : bien sûr, on expose les frontières de la Turquie au traité de Sèvres (10 août 1920) puis celles du traité de Lausanne, plus avantageuses pour la Turquie qui a continué à se battre après la révolution de 1919 et a remporté plusieurs victoires depuis. Cependant la notion de frontière en elle-même n'est pas exploitée : elle l'est peut-être plus in situ, mais cela ne transparaît pas dans l'ouvrage et c'est dommage.
Par contre, l'intervalle historique 1923-2023 est exploité et c'est très intéressant de comprendre comment ce traité a été et est perçu par les Turcs. Pendant longtemps, il a été perçu comme fondateur de la Turquie contemporaine par les nationalistes kémalistes. Depuis les années 1950, un virage s'est amorcé chez les islamistes et intellectuels conservateurs auxquels Erdogan est affilié : le traité de Lausanne est alors une défaite, un fiasco qui a mis fin à la grandeur turque.
Catastrophe pour les minorités, victoire de l'Etat-nation, le traité de Lausanne est le "résultat et le moteur du nationalisme ethnique".
Zeynep Oguz pose une question très intéressante : "l'Etat-nation est-il toujours une unité politique viable et souhaitable en cette période de changement climatique, mais aussi d'instabilité politique partout dans le monde?"
ou comment changer de perspective.
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