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Critique de Paulette2


"La Mémoire délavée" paraît dans cette collection du Mercure de France, "Traits et portraits" que j'aime beaucoup car elle offre des livres soignés, sur papier glacé, illustrés joliment. Bref, c'est d'abord un très bel objet à offrir.

Quand on l'ouvre, c'est le style qui envoûte, bien timbré, équilibré, apaisant, émaillé de phrases comme des bijoux qu'on ne peut s'empêcher de souligner ou de recopier dans un carnet comme autant de trésors glanés sur la route de la lecture. J'aime cette délicatesse du trait pour parler des traces du passé de sa famille, comme des "empreintes sur le sable". Nathacha Appanah caresse ce qu'elle évoque, et ceci même quand elle parle d'exil, d'asservissement ou d'injustice.

Cette qualité stylistique n'est pas décorative, elle dit le désir qu'en a l'auteure de ne pas abîmer son sujet, de ne pas asservir en l'évoquant sa famille, qui a payé un si lourd tribu à la déshumanisation dont étaient victimes les Indiens immigrés à l'île Maurice. La recherche du mot juste est corrélée à la recherche du bon traitement de son sujet :"Je voudrais que ça coule comme du miel […] mais les mots sont lourds, du béton on dirait. Personne de ma famille ne pourrait lire ça, ça parle d'eux pourtant ça les aliène". Il n'y a pas de beauté de la langue en soi : elle sera ressentie comme belle parce qu'elle n'étouffe pas les gens qu'elle évoque et qu'elle saura aussi être efficace, "comme des clés de biche ou des marteaux" pour ouvrir la mémoire familiale.

J'ai aimé aussi les pistes de réflexion qu'ouvre cet essai : que recouvrent le silence et l'oubli de ceux qui nous ont précédés ? Quand s'arrête la "peine" de nos aïeux ? Se peut-il que celle-ci aille jusqu'à contaminer notre identité actuelle profonde ? de quoi hérite-t-on finalement ? Malgré ses recherches pour mettre au jour les événements vécus par son grand-père, elle bute sur le silence, sur le tabou, sur l'oubli et les intègre à son oeuvre, finalement faite de "présence-absence". La démarche littéraire n'est pas omnipotente, elle est une humble tentative pour fixer ce qui s'enfuit inexorablement, cette "mémoire délavée" - quel magnifique titre, au passage !

Et puis par-delà l'intérêt de la réflexion, cet essai s'impose par son émotion. Quand elle évoque son père, son grand-père, sa grand-mère analphabète auxquels elle était si attachée, quand elle part à la recherche de bribes d'elle-même dans ce passé enfoui, c'est proprement bouleversant. Nathacha Appanah emploie des mots simples, elle écrit avec sincérité et amour, et cela me touche en plein coeur.

Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices Elle 2024
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