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Critique de Cannetille


Le temps délave la mémoire, et souvent même, il la réécrit, en un palimpseste infini. Alors, comme pour la préserver en la fixant, Natacha Appanah en entreprend la traversée, explorant avec pudeur et tendresse la vie de ses aïeux jusqu'à sa propre enfance et retraçant, en même temps que l'histoire intime de sa famille, celle collective des engagés indiens à l‘île Maurice.


« Tant qu'il y aura des mers, tant qu'il y aura la misère, tant qu'il y aura des dominants et des dominés, j'ai l'impression qu'il y aura toujours des bateaux pour transporter les hommes qui rêvent d'un horizon meilleur. » Comme la poétique ouverture de son récit interroge inlassablement les indéchiffrables et éphémères motifs tracés dans le ciel par les nuées d'étourneaux s'élançant chaque année dans leur long voyage migratoire, cela fait vingt ans, depuis qu'elle a commencé à prendre la plume, que l'auteur revient, encore et toujours, sur les traces de sa propre histoire de migration. Ses trisaïeux, réduits à l'état de matricules - 358444, 358445 et 358448 pour leur fils – ont débarqués à l'île Maurice en 1872. Ils avaient emprunté cette route qui, de 1834 à 1920, devait mener à Port-Louis des centaines de milliers d'engagés indiens, aussi appelés coolies, pour pallier au manque de main d'oeuvre consécutif à l'abolition de l'esclavage. « Volontaires » contraints à l'exil par la misère, ces hommes et ces femmes qui rêvaient d'une vie meilleure se sont en fait retrouvés dans un système de servage dont bien des aspects évoquent, selon les historiens, ni plus ni moins qu‘une « nouvelle forme d'esclavage ». Celle-ci est simplement passée au travers des mémoires européennes, comme le constate l'auteur chaque fois qu'en France, où elle vit depuis ses vingt ans, on l'interroge sur ses origines.


Mais ce délavage des réalités historiques n'est pas le seul fait d'une mémoire collective sélective. Lorsque, au-delà des archives et des documents officiels par lesquels elle a commencé ses investigations, elle entreprend de recueillir les souvenirs familiaux, c'est au filtre très émotionnel de la transmission intergénérationnelle qu'elle se heurte. de leur vécu dans les plantations de canne à sucre, ses grands-parents ont toujours pensé protéger leur descendance en gardant leurs mots et leurs sentiments au plus secret d'eux-mêmes. Pour écrire sur eux, pour eux, il lui faut remonter patiemment le fil des souvenirs, ceux de sa propre enfance et ceux égrenés par ses parents et ses grands-parents au gré de résurgences aléatoires et fragiles, qu'avec une infinie délicatesse, elle assemble dans le touchant souci de leur rester fidèle.


« Il y a ces minutes étranges, gris-bleu, glissantes, quand le soleil s'en va et quelque chose venu du fond des âges remonte et se rappelle à nous. » Cette chose, Nathacha Appanah nous la fait toucher du doigt au travers de ses reflets mouvants et délavés, accomplissant un essentiel devoir de mémoire et adressant à ses grands-parents un hommage magnifique de sincérité et de tendresse.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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