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Critique de si-bemol


"Je suis en vie et tu ne m'entends pas", toi, Heinz, qui a préféré la mort à l'arrestation, toi qui ne peux plus m'entendre et à qui pourtant, dans le deuil impossible de ton amour, je m'adresse pour te dire l'indicible de ce que, sans toi, j'ai vécu seul… “là-bas”.

Peu de romans se sont fait l'écho, dans la littérature, de la déportation en camp de concentration des homosexuels qui figurèrent pourtant parmi les victimes de l'épuration que les nazis opérèrent au sein de leur propre peuple, et cette catégorie particulière de déportés, dont il ne fut d'ailleurs fait aucune mention au procès de Nuremberg, reste encore largement taboue aujourd'hui.

Dans ce roman hors norme où à la voix de l'auteur se mêle le monologue intérieur de son personnage principal, Daniel Arsand raconte l'histoire absolument épouvantable d'un jeune Allemand, Klaus Hirschkuh, déporté parce qu'homosexuel au camp de Buchenwald où il subit, en plus du traitement “ordinaire” infligé par les nazis, les sévices, les insultes et le mépris de ses co-déportés, lui le “pédé”, la “tante”, le “sous-homme”, le “porc”.

Libéré en 1945 après quatre ans de déportation, Klaus Hirschkuh n'a que 23 ans mais il est déjà “sans âge”, squelette errant dans les ruines de ce qui fut sa ville, Leipzig, à la recherche de sa maison et de ses parents : “il boitait et se rapprochait d'eux, ses parents, M. et Mme Hirschkuh. Il avait ce droit là ; ne plus se heurter à un mur de cendres.”

Mais qu'a-t-il encore en commun avec eux, ces parents à qui il fait honte ? de “bonnes personnes” pourtant, mais “il avait causé son propre malheur, et le leur. (...) Il les avait en quelque sorte déclassés par ses moeurs, (...) il les avait rendus douteux à eux-mêmes, à une société tout entière. Comment pardonner ?”

Dans une société et une époque où l'homosexualité est non seulement un péché et une faute mais, au regard de la loi, un délit et un crime, que l'on ait été déporté ne fait toujours pas de soi une victime. Comment, dès lors, se reconstruire, en dépit de l'incompréhension, de l'agressivité et du jugement d'autrui, comment réussir à édifier une forme de bonheur, d'espérance et d'apaisement, malgré la souffrance, la solitude et les souvenirs de l'enfer traversé “là-bas” ? Est-ce seulement possible, même loin de sa terre natale, même en France, le pays des Droits de l'Homme, même des décennies plus tard ?

J'ai rarement été à ce point bouleversée par la lecture d'un roman. Bouleversée par l'histoire qui n'est pas qu'une fiction, qui vous questionne et qui vous prend aux tripes. Bouleversée par l'écriture, hachée, crue, splendide, qui dit la colère, la violence et les larmes au-delà des larmes, la douleur au-delà des mots.

Un livre magnifique, important et nécessaire, qu'il faut absolument avoir lu - que l'on soit sensible ou non à la cause LGBT - et, pour moi, un immense coup de coeur. ❤❤❤

[Challenge MULTI-DÉFIS 2019]
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