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Critique de BurjBabil


Pierre Assouline s'attaque donc à Rudyard Kipling, l'écrivain novéliste né à Bombay et chantre de l'empire Britannique.
Il le fait indirectement par le biais du célèbre poème « If » dont la traduction la plus répandue en France est celle commise par Maurois sous le titre ... « Tu seras un homme mon fils ».
Lorsqu'on fouille un peu et que l'on prend le temps de comparer la version anglaise et française, on s'aperçoit aussitôt qu'il ne s'agit pas pour cette version française consacrée par l'histoire d'une traduction mais d'une interprétation du poème. Il est d'ailleurs intéressant de parcourir les différentes variantes existantes et par là même de se rappeler la difficulté à traduire fidèlement la poésie d'une langue à l'autre.
C'est le prétexte choisi par l'auteur, via son personnage de Lambert, professeur de Français à J. de Sailly (Ah tiens, comme par hasard, l'auteur y a été scolarisé) pour évoquer Kipling, pour nous conter ce personnage hors norme, ses prises de positions, ses failles également. C'est une page de l'Histoire européenne qui nous est contée, avec un point de vue indéniablement aristocratique, so british...
Cette transition, tournant dix-neuvième vingtième siècle (première guerre mondiale incluse), est juste suffisamment effleurée dans cet ouvrage pour nous faire ressentir les affres et questionnements, prises de positions également de ce personnage si important dans l'imaginaire britannique.
Si l'on admet que le narrateur est en fait une transposition de Pierre Assouline lui-même, on n'est pas surpris du ton général de l'ouvrage. C'est enjoué, documenté et le narrateur se situe dans une sphère nettement intellectuelle, où les soucis matériels n'existent pas. Cette histoire est celle des inquiétudes d'un bourgeois Parisien qui assume pleinement cette posture et qui nous parle d'un de ses semblables, britannique cependant mais tellement francophile.
Les références littéraires sont multiples, puisées dans notre héritage gréco-latin, jamais gratuites, mais colorent l'ouvrage d'un pastel légèrement pédant, c'est le seul bémol ressenti à sa lecture.
Car en suivant les tranquilles pérégrinations de Lambert, on attend avec impatience la révélation de l'oeuvre de sa vie : la traduction de ce poème qui l'a accaparé jusqu'au bout, c'est à dire l'épilogue du livre.
Cette traduction est bien sûr celle de Pierre Assouline, qui nous y conduit grâce au fil d'Ariane se déroulant dans les affres de la vie de Kipling, essentiellement tourmenté par la perte de son fils.
Avant de me taire, car après il ne peut y avoir que du silence, je vais juste avertir un éventuel lecteur que ce qui suit est, pour ceux qui aiment l'oeuvre de Kipling et veulent comparer avec ce que l'Histoire a injustement gravé dans le marbre, l'apothéose traductrice du narrateur-auteur.

SI…

Si tu peux garder ton calme quand tous autour de toi
Le perdent et te le reprochent,
Si tu peux avoir confiance en toi quand tous doutent de toi
Tout en tenant compte de leur scepticisme ;
Si tu peux attendre sans te décourager d'attendre.
Ou quand on te calomnie, ne pas calomnier à ton tour,
Ou quand on te hait, ne pas haïr en retour,
Et cependant n'aie pas l'air trop bon, ni ne parle trop en sage.

Si tu peux rêver – sans être l'esclave de tes rêves
Si tu peux penser – sans faire de tes pensées une fin
Si tu peux affronter Victoire et Défaite
Et traiter pareillement ces deux charlatans ;
Si tu peux tolérer d'entendre ta vérité
Tordue par des arnaqueurs pour piéger des crétins,
Ou voir s'effondrer l'oeuvre de ta vie
Et te courber et la rebâtir de tes outils usés.

Si tu peux rassembler en un tas tous tes gains
Et risquer ton va-tout à pile ou face,
Et perdre, et repartir de zéro comme à tes débuts
Sans jamais souffler mot de ta perte ;
Si tu peux imposer à ton coeur et tes nerfs et tes tendons
De te servir longtemps fussent-ils à bout de force
Et ainsi de tenir bon quand toute énergie t'a déserté
Excepté la volonté qui leur dit : « Tenez bon ! »

Si tu peux t'adresser aux foules et garder ton intégrité,
Ou accompagner les rois – en sachant rester simple
Si les offenses de tes amis comme celles de tes ennemis ne peuvent t'atteindre,
Si chacun compte pour toi, mais aucun ne compte trop ;
Si tu peux remplir la minute inexorable,
De soixante secondes de chemin parcouru.
À toi la Terre appartient et tout ce qu'elle contient,
Et – mieux encore – tu seras un Homme, mon fils !
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