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Critique de bourg


Il est d'usage d'opposer, dans l'histoire de la musique occidentale, musique
populaire et musique savante, musique profane et musique sacrée. Ces clivages, façonnés hors des conventions et de l'arbitraire, se sont construits sur des réalités historiques, sociales et musicales, des schémas métaphoriques précis et une conception métaphysique du monde sensible selon un processus qui apparaît au Moyen Age pour s'éteindre à l'époque baroque. Ils traduisent également une profonde rupture esthétique. Tout en s'inscrivant dans la problématique des clivages, Charles-Dominique Luc se propose de réécrire une histoire sociale de la musique et place la figure emblématique du ménétrier au coeur de son étude. L'énigmatique formule, «joueurs d'instruments tant hauts que bas», propre à ces interprètes, fonde son projet. Moins anodine qu'elle n'y paraît, elle prend un relief inattendu et vient abondamment nourrir la réflexion d'une enquête très savante.
Au 13e siècle, les instruments s'ordonnent entre le «haut» et le «bas» selon une verticalité symbolique qui recouvre une dimension religieuse et morale. le «haut» est associé à l'excès et l'orgueil, le «bas» à l'humilité du chrétien. Charles-Dominique Luc porte plus loin l'allégorie et tente une interprétation plus singulière encore; «haut et bas» vont ainsi désigner le fort et le faible volume sonore.
Si, au Moyen Age, les musiques savantes participent pleinement de l'espace du sacré, de la ferveur des fidèles, de l'inspiration divine et des idéaux chrétiens, les musiques populaires sont, au contraire, perçues comme l'exutoire des forces occultes et infernales. Elles semblent pareilles à un déferlement démoniaque. Sonore et sacré résonnent à l'unisson dans le plaisir mystique, la prière, la dévotion et les élans polyphoniques De La Renaissance. La théologie du «bas», sobre et mesurée, n'inspire que vertus, harmonies triomphantes, et plénitude sensorielle. Dans la sphère profane, vouée à l'impiété et à l'orgueil, tout n'est que mort et tumulte, discordance et damnation, vacarme et diableries – une démonologie sonore ostentatoire. le couple «haut-bas» sonore ne s'épanouit alors que dans un fonctionnement dual antagoniste.
Musiques savantes, musiques populaires charrie un flot d'idées et d'analyses inédites. Sa problématique de recherche procède de l'anthropologie musicale historique et de l'ethnohistoire sociale et politique. Elle s'affranchit de l'ethnomusicologie, privilégie l'interdisciplinarité et la transversalité, ne se satisfait pas de spéculations hasardeuses mais puise avec une érudition consommée dans un vaste corpus documentaire et archivistique et exploite, sans retenue, l'expression allégorique et la sémantique. Au terme d'une investigation méthodique et nourrie,
l'auteur nous invite à une lecture subtile des évolutions du sonore et de la sensibilité musicale entre XIIIe et XVIIIe siècle. L'approche anthropologique révèle les sources religieuses, leur rapport antagoniste, la mesure de leurs désaccords ainsi que les grandes phases d'une histoire résolument conflictuelle. le poids de la religion, de la pensée symbolique et de l'imaginaire social sur une des fractures majeures de la musique ancienne prend, désormais, tout son sens et apparaît en toute clarté.
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