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Critique de Eric75


Eric75
23 septembre 2012
Tout le monde connaît Florence Aubenas, journaliste d'investigation, ex-otage en Irak, baroudeuse intervenant sur tous les points chauds de la planète : Rwanda, Kosovo, Algérie, Afghanistan, Irak, et dernièrement, Syrie. On l'imagine comme une sorte de Lara Croft au regard vif et aux nerfs d'acier, traquant le scoop au péril de sa vie, dans les endroits les plus improbables et le plus dangereux du globe. Ce livre relate une enquête de Florence Aubenas. Sa méthode : l'infiltration. Sa mission : devenir « invisible ». Son point de largage : Ouistreham. Ses armes : le balai télescopique, la serpillière de la mort, la cireuse-shampooineuse à trois vitesses. Florence – Lara Croft – Aubenas, ses pschitt-pschitt lave-vitres solidement fixés au ceinturon, est prête pour sa nouvelle aventure !
Le débarquement de notre héroïne a lieu non loin des plages de Normandie, à Cabourg, où nous affrontons d'emblée M. et Mme Museau, deux monstres du premier niveau. La menace est sérieuse, mais Florence-Lara s'en sort plutôt bien : « Je n'ai jamais eu l'intention de travailler chez M. et Mme Museau. Je ne veux pas entrer au service de particuliers… ». Un premier combat gagné par abandon face à l'ennemi. Pas très glorieux pour un début ! Mais rapidement, les niveaux suivants vont s'enchaîner : investir une agence d'intérim à Caen, et, il y a de quoi refroidir, partir à la conquête du Pôle (du Pôle Emploi, bien sûr).
Vous l'avez compris, on suit Tomb Raider Florence dans son parcours de combattante à tomber raide… de fatigue (et j'arrête là la métaphore) en immersion dans le monde des « invisibles ». Vous savez, ces gens que vous croisez le soir au bureau, passant l'aspirateur, donnant un dernier coup de chiffon en essayant de ne pas trop déplacer les dossiers éparpillés autour de votre PC. Après avoir lu ce livre, peut-être ne regarderez-vous plus ces invisibles de la même façon.
Florence Aubenas la journaliste médiatique dans le rôle de d'Aubenas Florence, l'invisible, la précaire, la travailleuse pauvre, même nom, même prénom, même date de naissance (car elle a conservé ses papiers), il est inconcevable qu'elle n'ait pas été démasquée, c'est dire à quel point les invisibles échappent au regard.
Florence Aubenas – la journaliste – parvient à éviter les principaux écueils de l'exercice. Elle témoigne et son récit reste factuel, littéraire, sensible et parfois même poétique. Elle évacue toute analyse pesante et froide, courbe du chômage, débat sociétal, conclusion macroéconomique, toute tentative d'explication de la « crise » et de ses conséquences. Elle a voulu parler de la crise d'une façon différente. Elle évite la condescendance et le militantisme. Sans moquerie ni flatterie, avec beaucoup de pudeur, juste ce qu'il faut d'humour et d'autodérision, elle assume son rôle à fond et jusqu'au bout (elle s'est fixé comme objectif d'obtenir un CDI, qui mettra fin à son reportage).
Bien sûr, on pourra toujours lui reprocher que tout ça n'est pas vécu « pour de vrai », qu'elle n'appartient pas à cette « France d'en bas », à ces « Français qui se lèvent tôt », qu'elle ne peut donc ressentir comme eux les affres du chômage et l'incertitude de la vie précaire. Mais elle ne veut que mettre en lumière, sur le devant de la scène, cette population invisible, et sa sincérité et sa lucidité sur les limites de l'exercice ne font aucun doute.
Lorsqu'elle dévoilera son identité et son double jeu, la relation intime qu'elle aura pu nouer avec ses « collègues » et « amis » volera en éclat. Elle retarde et redoute ce moment. Ceux-ci se sentiront-ils trahis et trompés ? Il semble que non, le livre a été parfaitement accepté, et avec fierté, par les protagonistes du récit, et le succès remporté (250.000 exemplaires vendus et, parmi les lecteurs, beaucoup de non-lecteurs) est sans doute la meilleure démonstration de la légitimité et de la pertinence de sa démarche.
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