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Critique de Jonaszuckerman


Grâce à une opération Masse critique, j'ai enfin eu la chance de retrouver Shalom Auslander, dont j'avais lu toutes les oeuvres. J'attendais avec impatience depuis quelques années son prochain roman. Il faut savoir être patient pour obtenir de la qualité.
Un peu à la Philip Roth (la comparaison s'arrêtera là), cet auteur a le talent de nous happer dès les premières pages, en nous abreuvant de mille informations, au point qu'on se demande ce qu'il aura encore à nous raconter dans les 230 pages qu'il reste.
Résultat : au moins une idée d'une grande originalité par page. Pas de pause. Dans l'humour non plus, surtout dans les dialogues.

C'est l'histoire d'une mère, de sa progéniture et de leur Onclissime. Il ne s'agit pas de n'importe quelle famille : ils sont adeptes (ou devraient l'être) d'une religion soit disant disparue car interdite, mais se battant discrètement pour survivre : les can-am, c'est à dire les cannibales américains. Donc, le titre est bien à prendre au premier degré.
Shalom Auslander est tellement doué qu'il arrive à nous expliquer l'histoire de cette religion et la justifier, ce qui la rend presque crédible !
Le but de cette mère : perpétuer la tradition de sa religion en ayant douze enfants, tous des garçons, pour qu'ils se reproduisent et ainsi gagner la guerre contre les autres religions par le nombre de pratiquants.
Pour cette mère détestable et débectante (jeu de mots), rien ne s'est bien sûr passé comme elle l'avait prévu. Certains ont pris fait et cause pour elle et les autres la haïssent.

Mais peut-on demander à nos enfants d'être ce qu'ils ne sont pas et de faire ce qu'ils ne veulent pas faire ? Est ce que l'amour inconditionnel qu'on leur porte "instinctivement" ne devrait pas nous pousser naturellement à les accepter comme ils sont ?

C'est ainsi que nous suivons plus particulièrement le destin de Septième Seltzer (ce nom ne serait pas une allusion à un produit qui aide à la digestion, surtout après avoir ingéré une mère amère ?), le septième né de la fratrie, qui a du mal à lutter contre cette mère envahissante, voire dévorante (re-jeu de mots, désolée) et ce qu'elle lui demande de faire après sa mort (comme à ses autres enfants) : Comment dire ? Suivre la tradition quoi... La manger !
Là, je ne dévoile à peine que les 40 premières pages (et la quatrième de couverture).
La mort de sa mère le mettra en quête de son identité. Qu'est-ce qui qualifie une personne ? Ses origines, sa religion, sa couleur de peau, son statut social, sa profession, son genre, son penchant en matière de sexualité et j'en passe...?

Je suis à nouveau entièrement entrée dans l'univers à l'humour noir et mordant (re-désolée, je ne peux pas m'en empêcher, trop tentant) de Shalom Auslander. Tout le monde en prend pour son grade (surtout Jack Nicholson). Les habitués ne devraient pas être déçus. Les autres, je vous encourage à tenter l'expérience Auslander et à déguster ce livre :-). le suspense nous tient jusqu'au bout.

De plus, derrière ces apparences d'humour caustique et "délicieux", ce récit aborde des thèmes universels comme l'appartenance à sa famille (que l'on ne choisit pas, c'est l'évidence même), une culture, des traditions.
Mais également le rapport des enfants aux parents, notre loyauté envers eux, la culpabilité qui peut nous poursuivre si on les déçoit, la difficulté de se détacher d'eux, de leur influence quelque soit notre âge. Et le rapport des parents à leurs enfants, l'acceptation de ce qu'ils sont sans se poser de questions, sans vouloir les changer et sans les renier une fois qu'ils suivent leur voie.

Un roman qui nous rappelle aussi ce qu'est l'humanité au-delà de l'importance que l'on donne aux apparences des autres, leur physique, leur couleur, leur religion... Il dénonce l'absurdité de nos pseudo différences. Une leçon d'humanité et de tolérance pleine de bon sens.

Je cite:
"La couleur de peau est malheureusement un des principaux marqueurs d'identité du genre humain. Il ne fait aucun doute que ce soit un marqueur primitif et affligeant, mais peut-être fallait-il s'y attendre aussi dans la mesure où nous ne sommes, malgré la haute opinion injustifiée que nous avons de nous, mêmes, qu'une espèce animale parmi d'autres, en lutte pour sa survie. Pour le zèbre, le lion est la mort, et personne ne ferait la morale au zèbre pour avoir réduit le roi de la jungle à cette définition. Il n'empêche, on ne peut qu'imaginer les hauteurs que nous humains atteindrions si des caractéristiques plus essentielles comme la gentillesse et l'intelligence étaient aussi immédiatement détectables et évaluées que les rayures et les taches de nos pelages. Il est douloureux et dégradant d'être jugé sur sa couleur de peau, comme le savent ceux qui en sont victimes. Mais il y a pire : être jugé sur la couleur de peau de tout le monde. Et pourtant, c'est la terrible situation dont les Cannibales souffrent aujourd'hui car ils n'ont la peau ni noire ni blanche, ni claire ni foncée, ni orientale ni occidentale. du fait d'avoir fui puis de s'être intégrés et d'avoir fui encore à de si nombreuses reprises au cours de leur histoire tourmentée, ils sont parvenus à un zéro racial absolu en termes de traits. Ce qui les caractérise est précisément de n'avoir aucune caractéristique et, en raison de la nuance particulièrement ambiguë de leur peau, on les prend - et on les hait à cause de cela pour toutes les races et tous les peuples de toutes les nations du monde."
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